19 décembre 2011

Accueillir notre humanité

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     La prise de conscience que nous appartenons à une humanité commune, et que cette appartenance est plus fondamentale que tout autre appartenance, a changé beaucoup de mes attitudes et ma vision de l'être humain. Elle m'a aidé à me libérer de compulsions égocentriques et de blessures intérieures, m'a incité à mieux accueillir ceux qui sont différents, les « étrangers », et même ceux qui nous agressent, les « ennemis ». Passer de l'égoïsme à l'amour, de l'esclavage à la liberté, de l'enfermement sur soi à l'ouverture aux autres, c'est grandir ; c'est le chemin vers la pleine maturité humaine.

    Nous sommes tous appelés à la libération du coeur, à nous ouvrir aux autres et à découvrir ce qui fait le fond de notre être, notre humanité commune. Mais cette libération est un long cheminement, depuis l'angoisse et l'enfermement sur nous-mêmes, où nous nous sentons coupés des autres, jusqu'à un amour plénier qui nous transforme et nous permet d'aider les autres à se transformer. Ce cheminement, nous ne pouvons l'accomplir seuls. Il implique que nous appartenions, à un moment ou un autre, à un groupe ouvert qui aide chacun à vivre un dialogue harmonieux avec les autres, à l'intérieur comme à l'extérieur du groupe. [...]

    On peut s'étonner que les faibles et les exclus puissent être des maîtres en humanité, mais c'est la vérité que je découvre en vivant avec eux.

 
    Jean Vanier, Accueillir notre humanité, Ed. Presses de la Renaissance

 

Le mot d'Avent du jour :

"Heureux vous aussi qui avez entendu et qui avez cru;
car toute âme qui croit conçoit et engendre le Verbe
et le reconnaît à ses oeuvres. ...     lire la suite

 

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"Toile Infinie". C'est nouveau, cela vient de paraître et c'est à découvrir ICI

 

18 décembre 2011

Cultiver la joie

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Il y a bien des manières de cultiver la joie, directement et indirectement. Le jeu, par exemple ! L’enfant aime jouer ! Mais le jeu permet en outre d’intérioriser des règles, donnant à la joie une dimension publique. Pour certains divertissements, la règle n’est pas primordiale, elle n’est cependant pas absente : on ne construit pas des châteaux de sable sans tenir compte des lois du réel ! D’autres sont régulés par des codes précis et représentent un véritable apprentissage de socialisation par le plaisir. Le foot, par exemple, fait appel et à l’observance des règles et à la combativité des joueurs et à la coopération des équipes et au respect de l’adversaire.

A côté du jeu, bien d’autres activités permettent de cultiver la joie, mais aussi le sens de la gratuité et de la beauté qui réjouissent : activités de loisirs, de solidarité, d’efforts pour autrui, etc. L’éducation ne doit ni survaloriser le plaisir, ni le dévaloriser, mais lui accorder une juste place. L’écueil de l’absolutisation du plaisir laisse croire qu’un plaisir satisfait dans l’immédiat équivaut au bonheur absolu. Inversement, la dévalorisation prive l’enfant des bonnes choses de la vie. Elle aliène son désir de grandir et d’aller de l’avant. Le plaisir donne de la saveur à l’existence. Mais il n’est pas tout. Car ce que l’individu cherche, éducateur comme éduquant, c’est la joie et surtout le bonheur.

La joie est l’aliment et le fruit du désir. Elle est cadeau qui surgit quand on a réussi à faire croître l’humanité en soi-même et en autrui. Elle est nourriture qui à la fois apaise la personne et creuse davantage encore sa faim d’accomplissement de soi, sa soif de bonheur.

Le bonheur, assurément, comme l’écrit Paul Ricœur, est " une terminaison de destinée et non une terminaison de désirs singuliers ; c’est en ce sens qu’il est un tout et non une source ". En d’autres termes, il n’est pas accumulation de joies partielles, il est totalité d’accomplissement, non atteint dans l’aujourd’hui, mais néanmoins déjà présent comme ce à quoi vise tout acte humain. Il est finalité sensée indiquant tout à la fois la signification de l’existence et la direction du bonheur dans son caractère achevé. " Nul acte ne donne le bonheur, précise encore le philosophe, mais les rencontres de notre vie les plus dignes d’être appelées des " événements " indiquent la direction du bonheur. "

Les actes de la joie, selon le titre d’un ouvrage de R. Misrahi, préparent donc d’une certaine façon au bonheur, sans pouvoir néanmoins posséder celui-ci. R. Misrahi ne tient sans doute pas suffisamment compte, à mon sens, des déterminations des corps propre et social, incluant un certain non-agir. Mais il a le mérite de souligner la part active de construction de la joie. Et l’éducateur doit apprendre aux jeunes à accueillir humblement les événements heureux, à laisser place aux surprises, mais aussi à goûter la joie d’être enfant de Dieu. Il se rappellera cependant que cette possibilité de se réjouir est liée à la capacité de différer des satisfactions immédiates. Le sujet désirant ne goûtera à la joie de vivre que s’il accepte de quitter suffisamment la plénitude fusionnelle pour s’inscrire dans le champ symbolique du langage.

Enfin, si l’éducation doit cultiver la joie, l’éduquant doit aussi pouvoir découvrir qu’il donne de la joie à son éducateur, par-delà ses résultats (scolaire ou autres). Don Bosco disait que l’enfant a besoin de se savoir aimé, il a sans doute besoin aussi d’observer ou d’entendre la joie de son éducateur.

Marie-Jo Thiel, Eduquer à la Beauté, éduquer aux valeurs, Ed. don Bosco

 

Le mot d'Avent du jour :

"Dieu de tous les humains,
nous nous confions à toi,
dans un esprit de reconnaissance ...     lire la suite

 

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17 décembre 2011

LE NOEL DES TAXIS.

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Ils se regardèrent longuement ce soir là.

L'enfant va bientôt arriver, dit l'homme, nous partirons demain. Je t'accompagne jusqu'à la ville où je dois aller pour le silo à blé, tu prendras le train pour Orly.

Mariée depuis quatorze ans, elle n'avait pas été mère; il n'avait pas été père. Car c'est la femme qui fait de l'homme un père et elle n'avait pu. Un jour ils avaient décidé, tous les deux dans leur cœur, de devenir père et mère selon leur cœur :  ces petits viendraient des pays de guerre. Et les avions leur avaient donné deux enfants, l'un aux yeux bridés, l'autre aux cheveux crépus. En les prenant dans leurs bras, leurs entrailles avaient bougé. La venue du troisième enfant avait été plusieurs fois reculée : du quinze décembre la date avait été repoussée au vingt-deux et enfin au vingt-quatre dans l'après-midi.

Elle attendait cet enfant qui leur viendrait des terres du soleil levant : elle le voyait, ils le voyaient déjà très brun sur le berceau blanc qu'on avait regarni pour la troisième fois.

Le jour vint où l'avion allait descendre, lourd de ce très lourd fardeau. Dans la salle des pas perdus, elle marcha très longtemps: les avions étaient déroutés, retardés. Tant de brouillards couvraient  ce Noël de la grande ville.

L'enfant fut annoncé par tous les hauts - parleurs clamant son arrivée dans tous les horizons. La femme le sentit en elle et devient mère et la mère courut. Vérifications d'identité, mauvais guichet, mauvaises portes. Enfin l'enfant du soleil levant descendit dans ses bras, brûlant.

Mais la nuit était avancée, les routes gelées, les plans déchirés, les correspondances brouillées. Il fallait trouver une place dans la grande ville. Elle appela :

-             Taxi ! Un hôtel, vite.

L'enfant comme un petit démon aux couleurs sombres hurlait sur la banquette arrière. Il se tordait, épuisé par des heures de voyage. Le taxi, très lentement, progressait de feu en feu, au milieu des fêtards qui couraient à une nuit folle…

Le conducteur était excédé. Il stoppa près d'un hôtel illuminé encore en pleine nuit, pour ce Noël. Trouverait-on ici même place pour le petit ? Avant de descendre pour s'enquérir, l'homme se retourna.

-             Avec des hurlements comme çà, la petite dame, y a pas un hôtel qui vous prendra une nuit de fête !
-             Elle insista. Le chauffeur n'écoutait pas


Elle se fit avocate, raconta toute son histoire : ces enfants qui venaient en son foyer vide, qui descendaient du ciel… l'un de l'Asie, l'autre échappé d'un génocide en Afrique, celui-là qui venait du Proche - Orient. Le chauffeur claqua la porte avec grogne et les laissa tous deux aux pieds des marches, dans la lumière de l'hôtel.

Quelques instants plus tard, après un détour sur la bordure du boulevard, il revenait :

-             Combien avez-vous dit de kilomètres jusqu'à votre maison ? Trois cents?… Y a pas de place pour vous à l'hôtel. J'ai vu les autres taxis, on s'est arrangés. Vous avez dit trois cents ?…
L'homme s'assit, à nouveau claqua la porte, alluma une pipe et ronchonna :
-             La nuit de Noël, une histoire comme çà c'est fou ! Allez ! on vous reconduit, pour votre Noël.
-             Et de feu en feu, de carrefour en carrefour, il traversa la grande ville pour courir avec l'enfant vers la maison de celle-là qu'il emmenait et qui n'avait pas été mère, vers celui-là qui attendait et qui n'avait pas été père.

Louis de la Bouillerie "Je vous écris au pluriel"
Editions du Châlet 1976.

 

Le mot d'Avent du jour :

"Il paraît que les chrétiens se sont endormis…
Ils auraient baissés les bras…
On les comprend !
Voici tellement longtemps qu’il est venu ! ...     lire la suite

 

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16 décembre 2011

Je leur donne à manger pour qu'ils vivent dans la dignité

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Un cuisinier aux allures extravagantes sur la plate-forme d'extraction du pétrole, propose des menus étonnants pour une cantine d'ouvriers

Mon premier jour en cuisine fut une surprise absolue. Je m'attendais à des haricots sautés, des tripes ou des viandes dans le style du Sonora:

- Mais tu ne comprends donc rien à rien! Toi, tout ce que tu vois, dehors, c'est un tas de brutes sans âmes qui bossent comme des bêtes de l'aurore jusqu'au couchant. Moi, je vois des hommes de courage qui transpirent et se tordent sous cette chaleur de dingue et qui ont besoin d'une compensation après la brutalité de leur travail. Ce sont des chevaliers errants qui se retrouvent coincés ici, prisonniers de l'enchanteur Pognon qui leur a jeté un sort. Je leur rappelle à ma manière qu'un jour ils étaient libres et fiers, en leur offrant les meilleurs mets du monde. Ceux que mangent un roi ou un président de la République.

Je cuisine pour eux, pour mes beaux guerriers du pétrole. Ils sont mon œuvre d'art. Je m'installe dans leurs bouches, je me faufile dans leurs entrailles et j'y dépose une graine de grandeur. Je leur donne à manger pour qu'ils vivent dans la dignité. Je t'assure que la plus belle réussite en cuisine est d'arriver à remplir les estomacs avec de l'imagination. Et tu t'imagines qu'ils ne m'en sont pas reconnaissants?

José Manuel Fajardo, l'Eau à la bouche, Métailié, pp 209-210

 

Le mot d'Avent du jour :

"Jouez hautbois,
Résonnez musettes,
Que retentissent les tambourins
Devant le Seigneur qui vient ...     lire la suite

 

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15 décembre 2011

Les signes des temps où nous sommes

3.jpg      Le fait que l'on enregistre aujourd'hui, dans le monde, malgré les vastes processus de sécularisation, une exigence diffuse de spiritualité, qui s'exprime justement en grande partie dans un besoin renouvelé de prière, n'est-il pas un « signe des temps » ?  Les autres religions, désormais amplement présentes dans les territoires d'ancienne chrétienté, proposent aussi leurs réponses à ce besoin, et elles le font parfois avec des modalités attrayantes. Nous qui avons la grâce de croire au Christ, révélateur du Père et Sauveur du monde, nous avons le devoir de montrer à quelles profondeurs peut porter la relation avec lui.

La grande tradition mystique de l'Église, en Orient comme en Occident, peut exprimer beaucoup à ce sujet. Elle montre comment la prière peut progresser, comme un véritable dialogue d'amour, au point de rendre la personne humaine totalement possédée par le Bien-Aimé divin, vibrant au contact de l'Esprit, filialement abandonnée dans le cœur du Père. On fait alors l'expérience vivante de la promesse du Christ : « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jn 14,21)...

Oui, chers frères et sœurs, nos communautés chrétiennes doivent devenir d'authentiques écoles de prière, où la rencontre avec le Christ ne s'exprime pas seulement en demande d'aide, mais aussi en action de grâce, louange, adoration, contemplation, écoute, affection ardente, jusqu'à une vraie « folie » du cœur. Il s'agit donc d'une prière intense, qui toutefois ne détourne pas de l'engagement dans l'histoire: en ouvrant le cœur à l'amour de Dieu, elle l'ouvre aussi à l'amour des frères et rend capable de construire l'histoire selon le dessein de Dieu.

 

Bienheureux Jean-Paul II
Lettre Apostolique « Novo millennio innuente » § 33

 

Le mot d'Avent du jour :

"L’Eglise nous demande ( ) de comprendre ceci:
de même qu’il (Jésus) est venu au monde une seule fois
en s’incarnant, de même. ...     lire la suite

 

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