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Conférence de Xavier THEVENOT sur SAINT FRANÇOIS DE SALES le 31 mai 1993
«L'homme est la perfection de l'univers, l'esprit est la perfection de L'homme, l'amour, celle de l'esprit et la charité celle de l'amour» François de Sales
Ce texte a été transcrit d'après l'enregistrement de la conférence, il en garde le caractère « parlé ».
DEUXIEME AXE «La compassion est au coeur de Dieu !»
Mais regardez là où puisent Don Bosco et François de Sales leur éternelle charité: tout s'origine dans l'éternelle charité de Dieu: «... son éternelle charité ne permet pas souvent à sa justice (d'user de ce châtiment » Regardez l'équilibre de la pensée. On ne pense point la charité sans l'articuler avec la justice, mais la charité a un primat sur la justice, on a vu par exemple dans l'affaire Touvier, combien la charité déconnectée de la justice risquait d'arriver à des aberrations. Il me semble que dans notre attitude éducative, charité et justice doivent s'articuler. Mais notez bien que la charité prime et, bien plus, regardez: il y a comme une sorte de débat en Dieu: « excitant sa compassion, la charité le provoque à nous retirer de notre malheur ».
La compassion..., c'est au coeur de notre spiritualité, comme la compassion est au coeur de Dieu. La compassion c'est un mouvement tout-à-fait paradoxal, c'est une souffrance déclenchée par la souffrance de l'autre. Alors le déclenchement de la souffrance devant la souffrance de l'autre a d'abord tendance à me lancer dans un activisme: "Qu'est-ce que je peux faire pour te soulager?" Et cette compassion qui fait des plans est tout-à-fait utile, mais elle risque toujours à un moment ou un autre de devenir manipulatrice, de devenir la compassion d'un riche qui a le pouvoir par; rapport à un pauvre qui ne peut rien. C'est pourquoi cette compassion active doit s'articuler avec une sorte de compassion passive qui arrive un jour ou l'autre où on se sent quasiment impuissant devant celui qui souffre. "Je ne peux plus rien pour toi. Je souffre de ta souffrance, mais alors que ta souffrance semble t'enfermer dans le silence et que je ne trouve plus de mot, (comme on dit: ça me laisse sans voix), sache que je suis encore auprès de toi, dans un lien sans parole, mais dans un lien de compassion. Tu existes à mes yeux, alors que je ne peux plus rien pour toi".
Eh bien, telle est la compassion de Dieu, en son Verbe fait chair, sur la croix. La croix, ça se termine par une expérience étonnante de compassion. Et je crois que dans notre spiritualité salésienne, face à tel jeune, particulièrement blessé par la vie, il y a à vivre des moments silencieux de compassion. Le jeune comprend qu'on ne peut pas grand' chose pour lui, mais qu'au moins il existe, parce qu'on est là, près de lui, ému par sa souffrance. « Eh bien, sa compassion, cette compassion de Dieu, continue François de Sales, le provoque à- le retirer de notre malheur; ce qu'il fait»
Alors, qu'est-ce qu'il fait pour nous retirer de notre malheur? Il fait une chose merveilleuse: il nous envoie le vent. Vous savez que le vent, en grec, c'est le pneuma, c'est le souffle, c'est l'Esprit. Il nous envoie l'Esprit, l'Esprit qui surgit après la passion: «l'Esprit de sa très sainte inspiration, laquelle venant avec une douce violence dans nos coeurs, les saisit et les émeut»
Regardez cette expression paradoxale qui, à mon avis, est typique de Don Bosco également; typique de notre façon d'être auprès des jeunes. La douceur, mais une douceur qui n'a rien de permissif, une douce violence. Je ne sais pas si vous avez fait l'expérience de rencontrer un homme (ou une femme) vraiment spirituel. C'est une expérience étrange. Quand on parle avec de telles personnes, on se sent à la fois réconforté par une sorte de douceur qui jaillit du fond de leur coeur. On se sent libéré par cette douceur, parce qu'on se sent compris; mais, en même temps, homme de l'esprit, on se sent appelé un mouvement en avant, à une exigence qui fait violence à nos lenteurs intérieures, à nos connivences avec le péché. La douce violence..., ça n'a rien à voir avec la douceur permissive ni avec la violence brusque qui essaie de secouer un jeune, et le jeune ne comprend pas pourquoi on le secoue. L'Esprit, c'est Celui qui va permettre les audaces, les initiatives qui font une douce violence à la société. Eh bien, en tant qu'institution salésienne, nous devons être porteurs de cette douce violence de l'Esprit. Puis regardez la fin de la phrase comme elle est merveilleuse et comme Don Bosco l'a actualisée. Cette douce violence, « elle les saisit », elle saisit ce jeune qui n'arrive plus à décoller parce qu'il est empêtré dans son passé, «elle les saisit et les émeut ». Et la place de l'émotion, la place de l'amorevolezza, la place de l'intensité du lien affectif entre l'éducateur, l'éducatrice et le jeune, relevant nos pensées, on s'adresse à l'intellect, la raison, mais également on s'adresse aux affects, « poussant nos affections ». Toute la réalité de l'homme est prise en compte; non seulement l'intellect, mais aussi l'affectif; non seulement le raisonnement, mais aussi l'émotion. « poussant nos affections en l'air du divin amour », c'est-à-dire là où on respire en vérité, là où la charité fait son oeuvre. Pensons à Dominique Savio, à Michel Magon. C'est une illustration parfaite, Michel Magon, de cet apode saisi par l'inspiration venant de Don Bosco, venant en dernier ressort de Dieu qui lui a fait douce violence, qui l'a saisi, qui l'a ému, qui a relevé ses pensées, qui a poussé ses affections en l'air de la charité. Quelle belle formule encore! Or, ce premier élan et «. ébranlement que Dieu donne à nos coeurs pour les inciter à leur bien, se fait clairement en nous mais non point par nous». Vous savez, la théologie chrétienne c'est une longue méditation sur les prépositions. Je ne sais pas si vous avez regardé la prière finale de la prière eucharistique: "En Lui, par Lui, avec Lui..." longue méditation sur les prépositions. Eh bien, ici, il y a une longue méditation sur les prépositions. Cela se fait en nous, ça ne reste pas tangentiel, comme le disaient les réformés. On est imputé juste, mais dans le fond, on n'est pas transformé. François de Sales est un catholique, il dit: « Quand Dieu intervient, cela nous transforme de part en part », cela se fait en nous, mais il est pour la grâce, « non pas par nous », non pas par nos mérites. « Il arrive à " l'impourvu" », c'est-à-dire à l'improviste; c'est très biblique tout cela: Dieu arrive à l'improviste. Pensez à Moïse se trouvant devant le buisson ardent et se retrouvant tout d'un coup à la tête d'un peuple à libérer; pensez à Marie, se retrouvant, jeune fille, devant une expérience mystique qui lui fait comprendre qu'elle va être mère de Dieu; pensez à St Paul jeté à bas sur le chemin de Damas... Dieu est un Dieu de l'improviste: il surgit quand on ne l'attend pas. Alors, l'improviste en nos vies va être manifesté par nos expériences d'improviste, par la médiation de l'imprévu en nous. Alors quels sont les imprévus en nos vies? Eh bien, ils viennent essentiellement par les expériences d'excès. Il y a deux types d'expériences d'excès: l'excès dans le mal et l'excès dans le bien. L'excès dans le mal, c'est quand on n'arrive plus à intégrer une réalité mauvaise qui nous tombe dessus, par exemple le diagnostic d'une maladie grave; par exemple, la perte d'un être aimé; par exemple, d'être nommé à un endroit où on est devant un désert apostolique; par exemple, un trouble familial très important. Tout d'un coup on ne se repère plus, on est déstabilisé. Eh bien, cette déstabilisation peut être saisie par la grâce de Dieu comme une occasion extraordinaire de comprendre que Dieu est un Dieu de l'imprévu et qu'il nous appelle à un remaniement vers un peu plus d'agapê, un peu plus d'amour en actes.
Mais il y a aussi l'imprévu par excès du bien, l'imprévu jaillissant de l'expérience de l'amour, un sentiment amoureux, l'imprévu d'une découverte culturelle étonnante, l'imprévu d'une expérience mystique. Là aussi on est déstabilisé par rapport à nos visions étroites et, du coup, on est remis en mouvement. Eh bien, Dieu agit régulièrement, si on en croit la Bible, par cette alternance de mouvements d'imprévus et de banalités quotidiennes. L'éducation doit savoir faire droit à l'imprévu, aider le jeune à intégrer l'imprévu et à l'entendre comme parole de Dieu possible. Donc, « ce premier ébranlement qui nous remet dans l'air du saint amour », dit François de Sales, « // arrive à l'imprévu, avant que nous n'ayons nous, penser, ni pu penser puisque nous n'avons aucune suffisance de nous-mêmes». Mais, c'est très luthérien ça: de nous-mêmes nous ne pouvons pas réussir notre quête d'humanisation; ça rejoint ce que je disais sur l'anthropologie chrétienne de Jean Bosco. Pour Jean Bosco, l'homme est fait pour Dieu, par Dieu, en Dieu. Il n'a pas sa suffisance en lui-même et toute éducation qui ne cherche pas à prendre acte que l'homme a sa suffisance en Dieu est une éducation tronquée. « Nous ne pouvons, de nous-mêmes, penser aucune chose qui regarde notre salut car toute notre suffisance est de Dieu ». Encore une magnifique comparaison: «Voyez, je vous prie, Théotime, St Pierre, le pauvre prince des apôtres, tout engourdi dans son péché ». Voilà: Pierre vient de renier, auprès de la servante, Jésus, alors qu'il était le premier pape; et voilà que ce Pierre est devenu comme cet apode, complètement effondré sur le sol, incapable de se remettre dans l'air du divin amour.
Et donc, regardez St Pierre, « ce pauvre prince des Apôtres, tout engourdi dans son péché, dans la triste nuit de la Passion de son Maître; il ne pensait plus à se repentir de son péché, sauf s'il n'eût connu son divin Sauveur; et comme un chétif apode atterré, il ne se fût jamais relevé, si le coq, comme un instrument de la divine Providence, n'eût frappé de son chant à ses oreilles ».
Savoir écouter les coqs dans notre vie... Les coqs, ce n'est pas toujours les poules, mais c'est tel événement qui est un premier réveil. Pierre, à l'écoute du coq, se rappelle les paroles du Sauveur: " Pierre, tu me renieras trois fois ". Savoir se mettre à l'écoute de ce qui réveille la mémoire de Dieu en nous, mais ce premier réveil ne suffît pas chez Pierre, un deuxième événement va se passer: « Le doux Rédempteur, dit François de Sales, jetant un regard salutaire, comme une flèche d'amour, transperça ce coeur de pierre».
Regardez là aussi Don Bosco , l'importance du regard... Voyez combien le Dieu de Don Bosco est le Dieu de François de Sales, le Dieu de Jésus. Jésus regarde Pierre « et transperce ce coeur de pierre ». Regardez le magnifique jeu de mots qui est fait là: Pierre - Simon, et la pierre. Un regard qui transperce. Beaucoup de jeunes disaient que Don Bosco lisait dans les consciences, comme si Don Bosco avait un regard sur eux, qui faisait douce violence, les provoquant à la conversion. Voyons ici ce qui est dit, ce qui est donné en exemple: ce n'est pas un Pierre, puissant, c'est un Pierre d'où coulent les larmes - et ce sont les larmes du premier pape montré ainsi dans sa faillibilité - ce sont ces larmes qui vont être source vivifiante pour l'Eglise...
Voilà la logique de Dieu: une compassion qui précède, une compassion qui jette un regard d'amour, une compassion qui transperce ce qui est dur: la pierre; un regard qui fait couler des fleuves d'eau vive. Et la faute se transforme en source de vie éternelle. Pédagogie salésienne s'il en est! Jeter sur le jeune un regard d'amour pour qu'il devienne à son tour comme Dominique Savio, comme Magon, comme Besucco... Le texte que nous venons de méditer est tiré d'une édition où le texte complet du 'Traité de rameur de Dieu" n'est pas complètement imprimé. Je vous relis quelques passages que vous n'avez pas, dans ce même chapitre 9, et qui sont très beaux. « Dieu ne nous a pas seulement aimés avant que nous fussions mais afin que nous fussions et que nous fussions saints.» Voyez la suffisance que nous trouvons en Dieu, venant de la précédence de Dieu et telle qu'elle nous conduit à comprendre que l'amour de Dieu ne nous a pas seulement aimés afin que nous fussions, mais avant que nous fussions et afin que nous fussions saints. On comprend que Don Bosco ait compris facilement que le but de l'éducation, c'était la sainteté, quand il s'inscrivait là-dessus, et le texte continue: «ensuite de quoi il nous prévient dans les bénédictions de sa douceur paternelle ». Voilà la douceur paternelle de Dieu qui est reprise par la douceur paternelle de Don Bosco.
Et ce chapitre se termine en éveillant le Cantique des Cantiques qui a tant inspiré tous les mystiques, tous les grands mystiques et évidemment François de Sales, et qui montre combien l'amour humain a été parabole pour eux de l'amour entre Dieu et l'humanité. François de Sales dit ceci: « Nous sommes éveillés par Dieu, mais nous ne nous sommes pas éveillés de nous-mêmes, c'est l'inspiration qui nous a éveillés et, pour nous éveiller, elle nous a ébranlés et secoués et, citant le cantique des cantiques,: "je donnais dit l'épouse, et mon époux qui est mon coeur veillait, et le voici qui m'éveille, m'appelant par le nom de nos amours, et j'entends bien que c'est lui, à sa voix»
M'appeler par le nom de nos amours... Il y a une intimité entre Dieu et chacun d'entre nous. Dieu connaît le nom de nos amours, ce petit nom intime que l'on se choisit pour dire l'amour. Don Bosco devait trouver dans de telles réflexions cette certitude qu'il faut être le pasteur des jeunes qui connaît le nom intime des jeunes pour les réveiller, les secouer car, dit-il, «...c'est en sursaut, à l'improviste qu'il m'appelle et me réveille et j' entends bien que c'est lui à sa voix».
A SUIVRE
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