Ressusciter (10 avril 2015)

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C'est une étrange expérience que d'aller au cimetière rendre visite à quelqu'un qu'on a aimé. Cela commence par une promenade douce et nonchalante, presque rêveuse, jusqu'à cet instant où il n'est plus possible de faire un seul pas en avant et où on se trouve devant une pierre tombale comme devant un obstacle infranchissable.
 
On s'apprêtait à rencontrer quelqu'un et il n'y a personne, il n'y a même plus rien, comme si la terre était plate et qu'on en avait par distraction atteint une bordure. Je me sens devant la tombe de mon père comme devant un mur, au fond d'une impasse.
 
Il ne me reste plus qu'à lancer mon cœur par-dessus, comme font les enfants quand ils jettent un ballon par-dessus un mur d'enceinte, pour le plaisir un peu anxieux, en allant le rechercher, de pénétrer dans une propriété inconnue. J'ignore sur quel gravier rebondit mon cœur quand je le lance par-dessus une tombe plus haute que le ciel, mais je sais que ce geste n'est pas vain : au bout de quelques secondes il me revient, empli de joie et aussi frais que le cœur d'un moineau nouveau-né.
 
Christian Bobin, Ressusciter.
 
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