28 avril 2008

« Venez à l'écart... » Marc 6, 30-31

Les Apôtres se rassemblèrent autour de Jésus  et ils lui racontèrent  tout ce qu'ils avaient fait et tout ce qu'ils avaient enseigné. Alors, il leur dit :   « Venez à l'écart, dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » 
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Les Apôtres étaient allés, deux par deux, dans les villages des environs pour annoncer la Parole de Dieu, guérir les malades et chasser les esprits mauvais. Ils avaient sans doute également écouté les gens leur raconter leurs rêves et leurs cauchemars, leurs espoirs et leurs désespoirs, leurs projets et leurs déceptions. Ils avaient trimé dur. Ils étaient sûrement fatigués. Mais en même temps, ils étaient contents du travail accompli.
 
C'est pourquoi ils se réunirent auprès de Jésus pour lui raconter ce qu'ils venaient de vivre. Un peu à la manière des enfants qui reviennent de l'école et qui racontent à leur maman ce qui s'est passé en classe. Un peu à la manière d'un benjamin qui raconte à son aîné ses premières expériences de travail ou de vie.
 
Jésus les écouta avec joie et reconnaissance. Il voyait certes en eux de bons collaborateurs et il était content de leur premier apprentissage apostolique. Mais il les savait fatigués et peut-être devinait-il qu'ils avaient besoin de parler encore de leurs expériences récentes, de se faire confirmer dans leur rôle de missionnaires.
 
C'est pourquoi il les invita à venir à l'écart, dans un endroit désert. Il les invita à s'éloigner pour un temps de ce qui faisait leur vie quotidienne. Il leur fit prendre un certain recul face à ce qu'ils venaient de vivre; il leur fit marquer une certaine distanciation vis-à-vis de leur travail.
 
Il les invita également à se reposer un peu. L'intériorité est en effet fort difficile dans l'agitation, l'activisme, l'éparpillement, la course continuelle. L'intériorité suppose du calme, du silence, de la paix, une certaine sérénité, même extérieure. L'intériorité exige la capacité de s'arrêter, de stopper la «course contre soi-même» (Lorenz), la course contre le temps, la course contre l'«ouvrage à faire», pour «se ramasser», se recueillir, se reposer... laisser descendre la mousse dans sa vie ou laisser calmer la vague sur son lac personnel.
 
Le Seigneur les invita à venir à l'écart dans un endroit désert pour se reposer un peu avec lui. L'intériorité n'est pas simple détente physique ou psychologique (encore que celle-ci soit bien commode et puisse y contribuer grandement). Elle est surtout paix avec le Seigneur et dans le Seigneur. Elle consiste souvent à être avec lui dans le silence et la tranquillité, dans la solitude, dans le secret aussi. Elle consiste également à nous raconter au Seigneur, pour qu'il nous confirme dans ce que nous sommes et dans ce que nous faisons ou tout simplement pour nous réchauffer à son contact: «Je tiens mon âme en paix et en silence... comme un enfant tout contre sa mère.» (Psaume 131, 2)
 Jules BEAULAC, Je parlerai à ton cœur,

Médiaspaul 1995, p. 25 s.

24 avril 2008

Libérez-vous de vos cages

Jalâl al-Dîn Rûmî 

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Oiseaux! Vous êtes du ciel! Libérez-vous de vos cages,
Levez la tête, dégagez votre face et dites où vous êtes maintenant.
 
Votre barque, cassée, est en dérive sur cette eau,
Devenez poisson, nagez et puis envolez-vous lors de l'eau.
 
Le moule se brise, l'ami est accessible ;
Le piège disparaît, dégagez-vous des rets du filet.
 
Vous êtes vous-mêmes les bûches du feu qui vous consume ; Éteignez cette flamme et vous verrez que vous êtes Lumière de Dieu.
 
Vous êtes fanés car le vent céleste vous est devenu souffle de peste ; Devenez libres et ressentez de nouveau la fraîche brise de l'aube.
 
Sachez percevoir les réponses de votre âme dans toute parole, Même si votre bouche ne s'ouvre point.
 
Combien de bonheurs avez-vous écrasé dans le mortier de votre existence? Faites-en maintenant du kohl et embellissez vos regards.
 
Vous étiez morts lorsque vous êtes nés,
Mourez et naissez une seconde fois en amour. Naissez! Naissez!
 
Que vous naissiez hindou ou turc, peu importe! Naissez en amour, Le jour se lève lorsque vous rejetez votre voile.
 
Si, comme moi, vous devenez dignes de Shams de Tabrîz, Alors vous serez roi, le Jour de la Résurrection.
  

Jalâl al-Dîn Rûmî, poète persan

23 avril 2008

Passage à vide

Paul-André Giguère


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Ils sont souvent imprévus. Ils sont toujours éprouvants. Les mots pour les dire ne manquent pas : désert, tunnel, sécheresse, nuit, aridité, stérilité, piétinement. Et comment, et pourquoi la vie spirituelle serait-elle à l’abri de ces passages qui jalonnent toute vie ?
 
La nécessité et la fécondité de ces passages à vide sont un des grands mystères de la condition humaine. Comment le sens émerge-t-il du chaos ? Pourtant, les témoignages abondent dans toutes les traditions : ces moments inscrits en creux dans nos existences ressemblent à des tremplins. Il font toucher le fond, la limite, et font rebondir. Ailleurs et autrement. Les nombreuses études sur le processus créateur réalisées vers le milieu du 20e siècle, ont révélé non seulement la constante, mais la nécessité de ces heures vertigineuses ou de ces mois angoissants : toutes les idées qui viennent en deçà sont convenues, prévisibles, à la limite banales; tout ce qui jaillit au delà est nouveauté, surprise, création.
 
« La nature, dit-on, a horreur du vide ». C’est sûrement vrai aussi pour les personnes. Angoisse dans le noir, et voilà qu’il y a toujours une lampe qui brille. Panique face au silence, et voilà la radio ou la télé allumée à longueur de journée. Trouble quand on a une question, et voilà qu’on s’accroche à la première réponse venue. Désarroi face à l’absence de résultats, et voilà la poursuite de formules magiques.
 
Bien sûr, il y a des vides coupables, dus à la paresse et à la négligence. Il n’y a pas que la cigale de la fable pour le savoir. Jésus parle de ces jeunes filles prises au dépourvu quand le fiancé arrive tardivement, parce qu’elles n’ont pas prévu une provision suffisante d’huile pour leur lampe (Matthieu 25 1-13). Mais il y a aussi les vides qui signalent l’approche d’une vérité. À mesure qu’on se dépouille des erreurs et des illusions, des approximations et des images qui rassurent à bon compte, on se retrouve dans une plus grande nudité de l’esprit. Voilà pourquoi il n’est pas rare d’avoir le sentiment de se retrouver dans une impasse alors qu’on a pourtant pris les décisions qu’il fallait courageusement prendre, mené les nécessaires combats et marché dans la bonne direction.
 
« L’impasse, disait le penseur québécois Jean Bédard au cours d’un séminaire tenu à l’été 2003, est l’outil le plus puissant de la croissance spirituelle dans la mesure où je tiens. Juste tenir me produit ».
 
Mais comme il est difficile de simplement se tenir là. Qu’il est ardu de ne pouvoir qu’attendre. Qu’il est pénible de concentrer son attention sur ce qui vient mais demeure absent. Qu’il est exigeant d’habiter une promesse. Et pourtant, on sent bien que déserter ce moment, ce serait tout perdre. « Les rendez-vous que l’on cesse d’attendre existent-ils dans quelque autre univers ? » (Gilles Vigneault)
 
Le moine se tient accroupi, immobile. Il sait que dans cinq secondes, ou cinq minutes, ou cinquante minutes, quelqu’un va frapper une cloche. Sans se laisser distraire du vide, il guette l’arrivée du son. L’amoureuse de la nature se tient debout au bord du lac. Elle sait que, dans une minute, ou deux, ou deux et demi, le soleil ou la lune va surgir de derrière l’horizon. Sans détourner les yeux, elle guette le premier rayon de la lumière. Le pêcheur est assis dans son embarcation, sa ligne est tendue, et il sait que dans dix secondes ou dans deux heures, il va sentir une série de petits coups. Sans relâcher son attention, il se tient prêt.
 
Voilà. C’est ça. Dans les itinéraires spirituels authentiques, viennent toujours un ou des moments où il n’y a plus de route. Un ou des moments où on est devant un fleuve ou un ravin infranchissable. C’est le temps de l’attente. L’attente de Dieu, Celui-qui-vient. On avait perçu son appel mystérieux, on s’était mis en route vers lui, et il a pris du prix à chaque pas que l’on faisait vers lui. Et qui, maintenant, il en prend davantage à chaque heure où il se fait encore attendre.
 
« Heureux, dit Jésus, les serviteurs que le maître trouvera en état d’attente quand il viendra. En vérité, je vous le dis, il attachera sa ceinture, les fera asseoir pour le repas et il viendra les servir lui-même. » (Luc 12 37)

20 avril 2008

« Lève les yeux vers les facultés que tu possèdes »

Épictète
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Allons, prend, toi aussi, conscience de cela, lève les yeux vers les facultés que tu possèdes, et, après les avoir contemplées, dis : «Donne-moi maintenant, Zeus, les circonstances que tu veux. J’ai l’équipement que tu m’as fourni et les ressources pour me diriger à travers ce qui arrive.»
 
Non, mais vous restez assis à trembler que certaines choses n’arrivent, et, lorsque d’autres sont arrivées, à vous plaindre, à pleurer et à vous lamenter; ensuite vous vous en prenez aux dieux. Qu’est-ce qui peut résulter d’une telle bassesse, sinon l’impiété même?
 
Pourtant non seulement Dieu nous a donné ces facultés qui nous permettent de supporter tout ce qui arrive sans être humiliés ni brisés par lui, mais, ce qui est d’un bon roi et, à la vérité, d’un père, ce don qu’il nous a fait est libre de toute contrainte, de toute nécessité et de tout empêchement, il l’a mis tout entier sous notre dépendance, sans se laisser à lui-même le moindre pouvoir de le contraindre ou de lui faire obstacle.
 
Vous possédez cela en toute liberté, c’est à vous, et vous ne l’utilisez pas, et vous n’avez pas conscience de ce que vous avez reçu et de celui qui vous l’a donné, mais vous restez assis à pleurer et à vous lamenter, que vous soyez aveuglés sur le compte du donateur et ne reconnaissiez pas votre bienfaiteur, ou que par bassesse vous vous laissiez aller à adresser à Dieu des reproches et des griefs.

17 avril 2008

Tant que tu n'auras pas découvert

Don Helder Camara

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Bien pauvre tu resteras
Tant que tu n'auras pas découvert
Que ce n'est pas les yeux ouverts
Que tu vois le mieux!
 
Bien naïf tu resteras
Tant que tu n'auras pas appris que,
Les lèvres closes,
Il est des silences plus riches
Que la profusion des mots.
 
Bien maladroit tu resteras
Tant que tu n'auras pas compris que,
Les mains jointes,
Tu peux bien plus agir
Qu'en agitant les mains.