03 août 2011

« Qui nous enseignera le bonheur ? »

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Pendant de nombreuses années, le philosophe Paul Ricœur, de tradition protestante, avait l’habitude de venir à Taizé. Il est décédé vendredi 20 mai 2005 à l’âge de 92 ans. Les extraits ci-dessous proviennent d’un entretien lors de son séjour à Taizé pendant la Semaine sainte 2000.

 

J’aime beaucoup le mot bonheur.

Longtemps, j’ai pensé que c’était soit trop facile, soit trop difficile de parler du bonheur.

Et j’ai dépassé cette pudeur. Ou plutôt je l’approfondis, cette pudeur, en face du mot bonheur. Je le prends dans toute la variété de ses significations, y compris celle des Béatitudes. Je dirais que la formule du bonheur c’est : « Heureux celui qui… »

Alors, le bonheur, je le salue comme justement une « re-connaissance », dans les trois sens du mot : je le reconnais comme étant mien, je l’approuve chez autrui, et j’ai de la gratitude pour ce que j’en ai connu, ces petits bonheurs, parmi lesquels ceux de la mémoire, pour me guérir des grands malheurs de l’oubli.

Et c’est là que je fonctionne à la fois comme philosophe, nourri des Grecs, et lecteur de la Bible et de l’Évangile, où on peut suivre le parcours du mot bonheur, mais dans les deux registres. Parce que le meilleur de la philosophie grecque est une réflexion sur le bonheur, le mot grec eudeimon - on a parlé de l’eudémonisme philosophique, chez Platon, chez Aristote -, et je m’y retrouve très bien avec la Bible. Je pense tout d’un coup au début du psaume 4 : « Ah ! Qui nous enseignera le bonheur ? » C’est une question un peu rhétorique, mais qui a sa réponse dans les Béatitudes.

Et les Béatitudes, c’est l’horizon de bonheur d’une vie sous le signe de la bienveillance, parce que le bonheur, ce n’est pas simplement ce que je n’ai pas, ce que j’espère avoir, mais aussi ce que j’ai goûté.

Paul Ricoeur

 

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et notre prière de la semaine

02 août 2011

Sur le visage de Marie

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« La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant.  Ce qu'il faudrait peindre sur son visage, c'est un émerveillement anxieux, qui n'apparut qu'une fois sur une figure humaine. Car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l'a porté neuf mois, et lui donnera le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Et par moments, la tentation est si forte qu'elle oublie qu'il est Dieu. Elle le serre dans ses bras. Et elle dit : mon petit.

Mais à d'autres moments, elle demeure interdite et pense : Dieu est là (...). Toutes les mères sont ainsi arrêtées par moments, devant ce fragment rebelle de leur chair qu'est leur enfant. Et elles se sentent en exil devant cette vie neuve faite avec leur vie et qu'habitent des pensées étrangères. Mais aucun enfant n'a été plus cruellement et plus radicalement arraché à sa mère, car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu'elle peut imaginer.

Mais je pense qu'il y a d'autres moments, rapides et glissants, où elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle, et qu'il est Dieu. Elle le regarde et elle pense : ce Dieu est mon enfant, cette chair divine est ma chair. Il est fait de moi, il a mes yeux, et cette forme de sa bouche, c'est la forme de la mienne, il me ressemble.

Et aucune femme n'a eu de la sorte son Dieu pour elle seule, un Dieu tout petit qu'on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu'on peut toucher et qui rit. Et c'est dans un de ces moments-là que je peindrais Marie si j'étais peintre.

 

Jean-Paul Sartre

(Écrit en décembre 1940, dans un camp de prisonniers de guerre, en Allemagne - extrait de "Bariona")

 

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28 juillet 2011

Comment porter témoignage

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de Saint Thomas d'Aquin
Commentaire sur la naissance de saint Jean-Baptiste

 

Pour porter témoignage, il faut des aptitudes. Si le témoin est incapable, quelle que soit la manière dont il est envoyé, son témoignage ne sera pas suffisant. Or, ce qui rend un homme capable d'une telle mission, c'est la grâce de Dieu. C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, dit saint Paul.

C'est lui qui nous a faits de dignes serviteurs de l'Alliance nouvelle. C'est donc bien à propos que l'évangéliste insinue l'aptitude du Précurseur par son nom même : Son nom, dit-il, était Jean, ce qui veut dire : celui en qui est la grâce. Ce nom ne lui fut pas donné à la légère mais, avant même sa naissance, il lui fut imposé par ordre de Dieu : Tu l'appelleras Jean, avait dit l'ange à Zacharie. Aussi Jean peut-il s'appliquer le mot d'Isaïe : Le Seigneur m'a appelé dès le sein de ma mère...

Toute créature est faite pour rendre témoignage à Dieu puisque toute créature est comme une preuve de sa bonté. La grandeur de la création témoigne à sa manière de la force et de la toute-puissance divines, et sa beauté témoigne de la divine sagesse. Certains hommes reçoivent de Dieu une mission spéciale : ils rendent témoignage à Dieu non seulement à un point de vue naturel, par le fait qu'ils existent, mais bien plutôt de manière spirituelle, par leurs bonnes oeuvres. Tous les saints sont des témoins de Dieu, car leurs bonnes oeuvres glorifient le Seigneur auprès des hommes, selon le conseil du Christ : Que votre lumière brille devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Cependant ceux qui, non contents de recevoir les dons divins et de bien agir par la grâce de Dieu, communiquent ces dons à d'autres par la parole, les encouragements et les exhortations, ceux-là sont plus spécialement encore des témoins de Dieu. Jean est un de ces témoins; il est venu pour répandre les dons de Dieu et annoncer ses louanges.

Cette mission de Jean, ce rôle de témoin, est d'une grandeur incomparable, car nul ne peut rendre témoignage à une réalité que dans la mesure où il y participe. Jésus disait : Nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu. Rendre témoignage à la vérité divine, cela suppose que l'on connaît cette vérité. C'est pourquoi le Christ, lui aussi, a eu ce rôle de témoin. Je suis venu en ce monde et je suis né pour rendre témoignage à la vérité. Mais le Christ et Jean avaient ce rôle de manière différente. Le Christ possédait cette lumière en lui-même; bien plus, il était cette lumière ; tandis que Jean y participait seulement. Aussi le Christ rend-il un témoignage complet, il manifeste parfaitement la vérité. Jean et les autres saints ne le font que dans la mesure où ils reçoivent cette vérité.

Mission sublime de Jean : elle implique sa participation à la lumière de Dieu et sa ressemblance avec le Christ qui s'est acquitté, lui aussi, de cette mission.

 

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26 juillet 2011

Le sermon sur la Montagne

 

 

J'ai fait connaissance avec la Bible il y a environ quarante-cinq ans. Je ne pouvais pas trouver grand intérêt à l'Ancien Testament, mais quand j'arrivai au Nouveau Testament et au Sermon sur la Montagne, je commençai à comprendre l'enseignement du Christ et le message du Sermon sur la Montagne fit écho à quelque chose que j'avais appris dans mon enfance. Cet enseignement, c'était de ne pas se venger et de ne pas rendre le mal pour le mal.

De tout ce que je lisais, ce qui me resta pour toujours, c'est que Jésus vint pour établir une loi nouvelle. Sans doute il a dit n'être pas venu pour apporter une autre loi mais pour greffer quelque chose sur la vieille loi de Moïse. Eh bien oui, il la changea de façon telle qu'elle devint une loi nouvelle: non plus œil pour œil et dent pour dent, mais être prêt à recevoir deux coups si l'on vous en donne un, et à faire deux kilomètres si l'on vous demande d'en faire un. Je me disais, ce n'est sûrement pas le christianisme. Car toute l'image que je m'en faisais alors, c'était la liberté d'avoir une bouteille de whisky dans une main et un bifteck dans l'autre.

Le Sermon sur la Montagne me prouva mon erreur. A mesure qu'augmenta mon contact avec les vrais chrétiens, c'est-à-dire avec des hommes vivant pour Dieu, je vis que le Sermon sur la Montagne était tout le christianisme pour celui qui veut vivre une vie chrétienne. C'est le Sermon qui m'a fait aimer Jésus.

En lisant toute l'histoire de cette vie sous ce jour-là, il me semble que le christianisme reste encore à réaliser. En effet, bien que nous chantions: Gloire à Dieu dans les cieux et paix sur la terre, il n'y a aujourd'hui ni gloire à Dieu ni paix sur la terre. Aussi longtemps que cela reste une faim encore inassouvie, et tant que nous n'aurons pas déraciné la violence de notre civilisation, le Christ n'est pas encore né. Quand la paix réelle sera établie nous n'aurons plus besoin de démonstration : cela resplendira dans nos vies non seulement individuelles, mais collectives.

 

Ghandi

Ce texte de Gandhi est tiré d'une annexe au livre de J.M. Muller L'Evangile de la non-violence .

 

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23 juillet 2011

Les instructions spirituelles

 

 

 

 

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Les instructions spirituelles


Saint Séraphim de Sarov (1759-1833)

Né à Koursk (Russie), il entre au monastère orthodoxe de Sarov où il devint prêtre. Il quitta la communauté pour aller vivre en ermite dans la forêt voisine pendant vingt-cinq ans. Il regagna ensuite son monastère pour se vouer au bien spirituel du prochain. On accourait à Sarov de toute la Russie, car on savait que le staretz (père spirituel) avait remède à tout. Un matin d'hiver il fut trouvé mort, à genoux contre son lit. Il continue de secourir, dit-on, ceux qui le prient. Son Église l'a canonisé le 19 juillet l903.

 

Du soin de l'âme

Le corps de l'homme est semblable à un cierge. Le cierge doit se consumer, l'homme doit mourir. Mais l'âme est immortelle et nous devons nous soucier de notre âme plus que de notre corps. Que sert-il à l'homme de gagner l'univers s'il perd son âme? Que donnerait un homme en échange de son âme? (Mc 8,36; Mt 16,26).

Nous estimons que l'âme est plus précieuse que tout, dit Macaire le Grand, parce que Dieu n'a daigné s'unir à aucune autre créature qu'à l'homme qu'il a aimé plus que toute autre créature. Nous devons donc surtout nous soucier de notre âme et fortifier le corps dans la mesure où il doit contribuer à la fortification de l'esprit.

De quoi faut-il munir l'âme ?

De la parole de Dieu, car la parole de Dieu, comme dit Grégoire le Théologien, est le pain des anges dont se nourrissent les âmes assoiffées de Dieu.

Il faut aussi munir l'âme de connaissances concernant l'Église : comment elle a été préservée depuis le début jusqu'à nos jours, ce qu'elle a eu à souffrir. Il faut savoir ceci non dans l'intention de gouverner les hommes, mais en cas de questions auxquelles on serait appelé à répondre. Mais surtout il faut le faire pour soi-même, afin d'acquérir la paix de l'âme, comme dit le Psalmiste : Paix à ceux qui aiment tes préceptes, Seigneur ou Grande paix pour les amants de ta loi (Ps 118, 165).

De la paix de l'âme

Il n'y a rien au-dessus de la paix en Christ, par laquelle sont détruits les assauts des esprits aériens et terrestres. Car ce n'est pas contre les adversaires de chair et de sang que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes (Ep 6,12).

Un homme raisonnable dirige son esprit à l'intérieur et le fait descendre dans son cour. Alors la grâce de Dieu l'illumine et il se trouve dans un état paisible et suprapaisible : paisible, car sa conscience est en paix; suprapaisible, car au-dedans de lui il contemple la grâce du Saint-Esprit.

Peut-on ne pas se réjouir en voyant, avec nos yeux de chair, le soleil ? D'autant plus grande est notre joie quand notre esprit, avec l'oil intérieur, voit le Christ, Soleil de Justice. Nous partageons alors la joie des anges. L'Apôtre a dit à ce sujet : Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux (Ph 3,20).

Quand un homme acquiert la paix, il peut déverser sur d'autres la lumière qui éclaire l'esprit... Mais il doit se souvenir des paroles du Seigneur : Hypocrite, enlève d'abord la poutre de ton oil, et alors tu verras clair pour enlever la paille de l'oil de ton frère (Mt 7,5).

Cette paix, Notre Seigneur Jésus-Christ l'a laissée à ses disciples avant sa mort comme un trésor inestimable en disant : Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix (Jn 14,27). L'Apôtre en parle aussi en ces termes : Et la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence gardera vos cours et vos pensées en Jésus-Christ (Ph 4,7).

Si l'homme ne méprise pas les biens de ce monde, il ne peut avoir la paix. La paix s'acquiert par des tribulations. Celui qui veut plaire à Dieu doit traverser beaucoup d'épreuves.

Rien de contribue plus à la paix intérieure que le silence et, si possible, la conversation incessante avec soi-même et rare avec les autres. Nous devons donc concentrer nos pensées, nos désirs et nos actions sur l'acquisition de la Paix de Dieu et crier incessamment avec l'Église : Seigneur! Donne-nous la paix!

Comment conserver la paix de l'âme

De toutes nos forces il faut s'appliquer à sauvegarder la paix de l'âme et à ne pas s'indigner quand les autres nous offensent. Il faut s'abstenir de toute colère et préserver l'intelligence et le cour de tout mouvement inconsidéré.

Afin de sauvegarder la paix, il faut chasser la mélancolie et tâcher d'avoir l'esprit joyeux . il faut éviter de juger les autres. Il faut entrer en soi-même et se demander : Où suis-je ? Il faut éviter que nos sens, spécialement la vue, ne nous donnent des distractions: car les dons de la grâce n'appartiennent qu'à ceux qui prient et prennent soin de leur âme.


Saint Séraphim de Sarov

Irina Goraïnoff. Séraphim de Sarov, traduit du russe par I. Goraïnoff,
Spiritualité Orientale, n° 11, Abbaye de Bellefontaine, 1973

 

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