17 décembre 2011

LE NOEL DES TAXIS.

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Ils se regardèrent longuement ce soir là.

L'enfant va bientôt arriver, dit l'homme, nous partirons demain. Je t'accompagne jusqu'à la ville où je dois aller pour le silo à blé, tu prendras le train pour Orly.

Mariée depuis quatorze ans, elle n'avait pas été mère; il n'avait pas été père. Car c'est la femme qui fait de l'homme un père et elle n'avait pu. Un jour ils avaient décidé, tous les deux dans leur cœur, de devenir père et mère selon leur cœur :  ces petits viendraient des pays de guerre. Et les avions leur avaient donné deux enfants, l'un aux yeux bridés, l'autre aux cheveux crépus. En les prenant dans leurs bras, leurs entrailles avaient bougé. La venue du troisième enfant avait été plusieurs fois reculée : du quinze décembre la date avait été repoussée au vingt-deux et enfin au vingt-quatre dans l'après-midi.

Elle attendait cet enfant qui leur viendrait des terres du soleil levant : elle le voyait, ils le voyaient déjà très brun sur le berceau blanc qu'on avait regarni pour la troisième fois.

Le jour vint où l'avion allait descendre, lourd de ce très lourd fardeau. Dans la salle des pas perdus, elle marcha très longtemps: les avions étaient déroutés, retardés. Tant de brouillards couvraient  ce Noël de la grande ville.

L'enfant fut annoncé par tous les hauts - parleurs clamant son arrivée dans tous les horizons. La femme le sentit en elle et devient mère et la mère courut. Vérifications d'identité, mauvais guichet, mauvaises portes. Enfin l'enfant du soleil levant descendit dans ses bras, brûlant.

Mais la nuit était avancée, les routes gelées, les plans déchirés, les correspondances brouillées. Il fallait trouver une place dans la grande ville. Elle appela :

-             Taxi ! Un hôtel, vite.

L'enfant comme un petit démon aux couleurs sombres hurlait sur la banquette arrière. Il se tordait, épuisé par des heures de voyage. Le taxi, très lentement, progressait de feu en feu, au milieu des fêtards qui couraient à une nuit folle…

Le conducteur était excédé. Il stoppa près d'un hôtel illuminé encore en pleine nuit, pour ce Noël. Trouverait-on ici même place pour le petit ? Avant de descendre pour s'enquérir, l'homme se retourna.

-             Avec des hurlements comme çà, la petite dame, y a pas un hôtel qui vous prendra une nuit de fête !
-             Elle insista. Le chauffeur n'écoutait pas


Elle se fit avocate, raconta toute son histoire : ces enfants qui venaient en son foyer vide, qui descendaient du ciel… l'un de l'Asie, l'autre échappé d'un génocide en Afrique, celui-là qui venait du Proche - Orient. Le chauffeur claqua la porte avec grogne et les laissa tous deux aux pieds des marches, dans la lumière de l'hôtel.

Quelques instants plus tard, après un détour sur la bordure du boulevard, il revenait :

-             Combien avez-vous dit de kilomètres jusqu'à votre maison ? Trois cents?… Y a pas de place pour vous à l'hôtel. J'ai vu les autres taxis, on s'est arrangés. Vous avez dit trois cents ?…
L'homme s'assit, à nouveau claqua la porte, alluma une pipe et ronchonna :
-             La nuit de Noël, une histoire comme çà c'est fou ! Allez ! on vous reconduit, pour votre Noël.
-             Et de feu en feu, de carrefour en carrefour, il traversa la grande ville pour courir avec l'enfant vers la maison de celle-là qu'il emmenait et qui n'avait pas été mère, vers celui-là qui attendait et qui n'avait pas été père.

Louis de la Bouillerie "Je vous écris au pluriel"
Editions du Châlet 1976.

 

Le mot d'Avent du jour :

"Il paraît que les chrétiens se sont endormis…
Ils auraient baissés les bras…
On les comprend !
Voici tellement longtemps qu’il est venu ! ...     lire la suite

 

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