«Tout par amour, rien par force !»
François de Sales
Causerie de Xavier THEVENOT sur SAINT FRANÇOIS DE SALES
«L'homme est la perfection de l'univers,
l'esprit est la perfection de L'homme, l'amour, celle de l'esprit et la charité
celle de l'amour»
Cet exposé sera sans prétention, c'est vraiment en famille
que ça se passe. On m'a demandé de vous parler de la spiritualité salésienne.
Alors,
il y a deux mots dans cette expression, le mot spiritualité et le mot salésienne.
Le
mot spiritualité, comme le signalait
le Père Danielou, c'est difficile de l'utiliser parce qu'il parle d'Esprit et
quand nous parlons d'Esprit, que nous disons Dieu est Esprit, que voulons-nous
dire? Parlons-nous grec ou hébreux? Si nous parlons grec nous disons que Dieu
est immatériel etc..., si nous parlons hébreux, nous disons que Dieu est un
ouragan, une tempête, une puissance irrésistible. D'où toutes les ambiguïtés
quand on parle de spiritualité.
La
spiritualité consiste-t-elle à devenir immatériel? - certainement pas! -répondront
les Salésiens et les Salésiennes, - ou plutôt à être animés par le
Saint-Esprit? Eh bien, c'est évidemment dans ce sens d'animation par le Saint
Esprit qu'il faut entendre le terme de spiritualité.
Don
Vigano en 1990 écrivait ceci: « La vraie spiritualité apporte avec elle
l'enthousiasme et le courage. Parce qu'elle est consciente de cette animation
constante de l'Esprit.» Et nous savons que l'Esprit manifeste d'ordinaire sa puissance
non pas dans l'ouragan ou dans le tremblement de terre ou dans le feu, mais,
comme le rappelle le Livre des Rois, paradoxalement dans le murmure d'une brise
légère comme l'a expérimenté le prophète Elie. Mais de toutes façons, sa
puissance demeure tout le temps irrésistible; plutôt que comme pou voir absolu,
l'Esprit-Saint se présente comme amour infini et c'est cet amour infini auquel
ont été spécialement sensibles Saint François de Sales et Saint Jean Bosco. Il
touche efficacement le coeur, renforce l'homme intérieur. Il se rend présent
pour ainsi dire en se cachant. L'homme spirituel, et on en voit des exemples
parfaits à travers François de Sales, Jean Bosco, Dominique Savio, l'homme
spirituel est son chef d'oeuvre, le fruit de l'énergie de la charité qu'il nous
donne.
Donc,
la base de toute spiritualité, c'est de se mettre en harmonie avec
l'Esprit-Saint. En ce jour, il est bon de se le rappeler. Et le propre de
l'Esprit est de transformer tellement des hommes qu'ils deviennent des saints.
Et donc on rejoint le deuxième mot de l'expression "spiritualité salésienne":
le mot salésienne.
Et
je crois qu'il est très important que nous revenions à notre qualificatif de salésienne,
famille salésienne, parce que je crois que ces dernières décennies on a trop
négligé St François de Sales. Et le Supérieur Majeur insiste fortement
aujourd'hui pour que l'on redécouvre non seulement St Jean Bosco, mais François
de Sales dans la sorte de dialectique qui existe entre ces deux grands saints.
Je vous lis encore une lettre du Recteur Majeur en 1990,
montrant que ce n'est pas par hasard du tout que notre qualificatif de
salésienne existe pour cette famille que nous formons. "Le terme renvoie à
François de Sales, - écrit Don Vigano - , une des plus hautes figures de la
spiritualité chrétienne. Et l'emploi de ce qualificatif de salésienne remonte à Don Bosco,
quand il engagea sa première équipe de jeunes à rester pour lui, avec lui, pour
s'exercer dans la charité pastorale propre à sa mission éducative, il choisit
parmi tant d'autres noms possibles le nom de "Salésiens", il voulut
également que l'institution religieuse qu'il avait fondée devint " Société
de François de Sales "; il désirait que les siens se tournent vers
François de Sales comme un pasteur plein de zèle et un docteur de la charité.
Et
les Constitutions précisent encore qu'il voulait s'inspirer de sa bonté et de
son zèle et privilégier les attitudes de bonté affectueuse, de joie, de
dialogue, de convivialité, d'amitié et de patience inlassable selon le riche
humanisme qui a caractérisé la vie et l'action de l'Evêque de Genève.
L'attirance de Don Bosco pour François de Sales remonte aux années de sa
formation et de son perfectionnement pastoral. Sa quatrième résolution lors de
sa première messe disait: "que la charité et la douceur de François de
Sales me guident en toutes choses". Et cette attirance n'a jamais faibli
au cours de sa vie, comme le montre ce qu'il a fait ou fait faire en l'honneur
du patron qu'il aimait.
Et Vigano renvoie à la table analytique des Mémoires
biographiques, où l'on voit le nombre d'allusions considérables qui sont faites
à François de Sales, montrant bien ainsi que François de Sales était un
personnage structurant de la vie et de l'agir de Don Bosco. Et Vigano conclut:
« Pour rendre à St François de Sales le poids qui lui revient dans notre spiritualité,
je crois qu'il est important pour nous de souligner que la qualification de salésienne exprime son caractère
ecclésial et son envergure; car il est le docteur de la charité pastorale et le
centre et la synthèse de notre esprit apostolique ». Les formules sont pesées:
"docteur de la charité pastorale". Or on sait que toute la pédagogie
salésienne est un déploiement de la charité pastorale. Donc, le docteur qui a
pensé cela pour nous, c'est François de Sales et il est le centre et la synthèse
de notre esprit apostolique.
Et vous savez que la devise "Da mihi animas coetera
tolle": - donne-moi des âmes, le reste prends-le -, Don Bosco, d'après le
Père Scheppens, pensait plutôt que c'était attribué à François de Sales. Au
fait, ce n'était pas de St François de Sales, c'était dans la Genèse, mais pour
lui ça représentait une devise tout-à-fait salésienne.
Bref, on peut dire avec Don Vigano que Don Bosco mettait au
centre de sa spiritualité l'intuition lapidaire de François de Sales, qui est
si merveilleuse et si dense. Voici cette intuition:
« L'homme est la perfection de l'univers,
l'esprit est la perfection de l'homme, l'amour celle de l'esprit et la charité
celle de l'amour » (TRAITÉ DE L'AMOUR DE DIEU, Volume 2,
livre 10).
L'homme
est la perfection de l'univers. Dieu a voulu l'homme pour lui, il nous a faits
pour lui mais l'esprit c'est la perfection de l'homme, l'amour celle de
l'esprit et la charité celle de l'amour.
Cette
spiritualité apostolique plut tellement à Don Bosco qu'au soir de sa vie il
chargea le Père Jules Barberis, maître des novices, de faire mieux connaître
François de Sales et d'en écrire une vie adaptée à ses jeunes, qui fut comme
l'incarnation de la vie chrétienne. Le Père Rinaldi, déjà Recteur Majeur, pria
le Père Eugène Ceria de travailler à approfondir et à mieux faire connaître
François de Sales.
C'est
pourquoi ce matin, nous allons ensemble, tout simplement, sans faire trop
d'intellectualisme, méditer; je vous propose une méditation sur des passages du
"Traité de l'amour de Dieu"
et de "L'Introduction à la Vie
dévote", les deux grandes oeuvres majeures de François
de Sales, parce que je crois qu'elles sont une longue réflexion sur la charité
pastorale qui est au coeur de la Famille Salésienne.
En effet, le Père Scheppens, qui est donc un grand
spécialiste de Don Bosco, qui a fait sa thèse de doctorat sur Don Bosco,
affirme que tout ce qui oriente l'agir apostolique, l'agir éducatif de Don
Bosco, c'est ce qu'on appelle dans la théologie contemporaine, une théonomie
radicale. L'autonomie, ça veut dire qu'on trouve la règle d'agir en soi-même,
la théonomie ça veut dire qu'on trouve la règle d'agir en Dieu. Eh bien, pour
Don Bosco, il y avait théonomie radicale de son activité éducative. Je lis ce
qu'écrit le P. Scheppens :
«L'homme
en général, et le jeune en particulier, était présenté sans hésitation aucune
par Don Bosco comme un être pour Dieu. Il y avait chez lui un primat de la
dimension verticale, c'est un trait essentiel de son anthropologie. Pour Don
Bosco, l'homme est fondamentalement orienté vers Dieu, vers un monde divin,
vers la réalité céleste; il l'est de par sa nature, depuis son origine et par
la force de tout son être, il est essentiellement ouverture au transcendant qui
est son créateur, son rédempteur, son unique maître. Il n'atteint la plénitude
de son être que dans la rencontre définitive avec Dieu, dans la vie éternelle
et céleste.»
Chez Don Bosco, il ne faut donc pas chercher le contenu
essentiel et spécifique de la tâche éducative en premier lieu dans la
réalisation d'un idéal humain. La destinée de l'homme n'est pas d'abord à
repérer dans un engagement dans le monde d'ici-bas. La seule chose absolument
nécessaire pour Don Bosco est une vie en amitié, et en paix avec Dieu et avec
la pratique de la foi. Autrement dit, ce qui dirige la réflexion éducative de
Don Bosco, c'est la méditation profonde de l'être même de Dieu. L'être même de
Dieu, la pédagogie de Dieu, c'est ce qui va donner à Don Bosco, ses intuitions
pédagogiques fondamentales. Or, l'être de Dieu, auquel Don Bosco se réfère, est
manifestement le Dieu présenté par François de Sales, même s'il l'a lu
médiatisé par d'autres auteurs.
Et je suis très frappé, depuis le jour où je me suis remis
à lire St François de Sales, sérieusement, avec la maturité de mon âge,
maintenant, et je relis ça comme un texte splendide, d'une finesse théologique
extrême, d'une qualité d'analyse psychologique qui n'a rien à envier à la
psychologie contemporaine; on découvre page par page des textes qui
s'appliquent tout-à-fait à Don Bosco, comme si les portraits que François de
Sales fait de l'action de Dieu auprès de l'humanité peuvent s'appliquer au
portrait de l'action de Don Bosco auprès de la jeunesse.
Voilà pourquoi ce matin je voudrais vous donner le goût de
relire chez vous François de Sales, un auteur un peu difficile à lire, mais qui
a un style de toute beauté. Je voudrais vous inviter à lire avec moi, tout
simplement, quelques extraits du Traité de
l'amour de Dieu,
de la Vie dévote.
Donc si vous voulez, l'intuition qui dirige ma conférence,
c'est que l'action pédagogique de Dieu vis-à-vis de l'humanité est le modèle de
l'action pédagogique de Don Bosco vis-à-vis des jeunes, que le Dieu de Don
Bosco, c'est le Dieu de St François de Sales et que les portraits de Dieu qui
sont faits là sont aussi évidemment des portraits du Christ, car ce sont des
portraits de l'amour et, toute proportion gardée, dans la mesure où Don Bosco
est configuré au Christ, ce sont des portraits de Don Bosco.
Alors, lisons ensemble le TRAITÉ DE L'AMOUR DE DIEU,
au chapitre 9, page 2.
Le
titre:
« Comme l'amour éternel de Dieu envers nous
prévient nos coeurs de
son inspiration afin que l'aimions ».
Regardez le mot prévenir,
il est central dans ce chapitre. Il y a une précédence radicale de Dieu. Et
notre système préventif va tenter d'instaurer une précédence radicale de
l'amour de l'éducateur vis-à-vis des jeunes à éduquer.
Et
ce chapitre 9 est une longue méditation de cette prévenance, de cette
antécédence, de cette précédence radicale de Dieu qui fait que l'action de
l'homme ne sera jamais qu'une éthique de la responsabilité. Notre éthique
éducative est une éthique de réponse et c'est pourquoi elle est spécialement de
responsabilité au sens étymologique. Il s'agit de déployer dans une logique
extrême, cette précédence enveloppante de l'amour de Dieu.
Alors
voici ce que fait dire François de Sales à Dieu:
« Je t'ai aimé d'une charité perpétuelle, (phrase que Don
Bosco peut dire vis-à-vis de ses jeunes) et
partant, je t'ai attiré, ayant pitié et miséricorde de toi, et je te
réédifierai, tu seras édifiée, toi Vierge d'Israël, (la
volonté de Don Bosco de réédifier les jeunes blessés par la vie). Voilà les paroles de Dieu par lesquelles il promet que le
Sauveur venant au monde, établira un nouveau règne en son Eglise qui sera son
épouse vierge et vraie Israélite spirituelle. Or, comme vous voyez que ça n'a
pas été par aucun mérite des oeuvres que nous avions faites.»
Il faut se rappeler que François de Sales, Evêque de
Genève, écrit dans un diocèse marqué par le protestantisme, où il y a une
polémique où l'on se défie de la théologie du mérite qui affirmerait qu'il faut
mériter l'amour de Dieu. Eh bien, François de Sales, vous allez voir, a des
accents luthériens et calvinistes très forts, il va jusqu'où il peut aller pour
développer sa tâche oecuménique.
- Eh bien, ce n'est
« par aucun mérite des oeuvres que nous
eussions faites mais selon sa miséricorde, (la miséricorde précède, les mérites ne
sont que réponse), c'est selon sa miséricorde
qu'il nous a sauvés, par cette charité ancienne et éternelle qui a ému sa
divine Providence de nous attirer à soi.»
L'émotion de Dieu..., le Dieu présenté par François de
Sales est un Dieu qui n'est pas un intellect pur mais un Dieu plein d'émotion, qui vibre a la réalité
des hommes, comme Don Bosco vibre à la réalité de la jeunesse blessée.
«Que si le Père ne nous eut
tirés, jamais nous ne fussions venus au Fils notre Sauveur, ni par conséquent,
au salut.»
Et François de Sales qui est un
merveilleux pédagogue et un grand contemplatif, va immédiatement prendre une
comparaison pour faire comprendre cette réflexion très abstraite sur la nature
et la grâce. Alors j'y vois deux indications pour nous, Salésiens, aujourd'hui.
Tout d'abord une indication à la contemplation. On est très frappé quand on lit
François de Sales, de voir un homme pour qui les objets, les réalités
quotidiennes se mettent à parler de Dieu: les abeilles lui parlent de Dieu, les
grenouilles lui parlent de Dieu, les albatros lui parlent de Dieu, les goélands
lui parlent de Dieu. Enfin, chaque chose la plus ordinaire est pour lui
occasion de méditer sur l'action de Dieu vis-à-vis de l'humanité.
Merveilleuse
pédagogie ! Savoir ouvrir les yeux des jeunes sur les choses banales de leur
vie pour leur faire comprendre que ces choses sont des icônes qui nous
renvoient à une profondeur beaucoup plus grande que celle que l'on imagine.
Et puis, deuxième leçon que je tire de cet appel à des
exemples concrets, c'est que François de Sales n'a pas un discours qui fait
marcher uniquement le cerveau gauche de la rationalité, mais il fait aussi
marcher l'hémisphère droit qui est l'hémisphère des analogies, l'hémisphère des
perceptions esthétiques et, grâce à cela, il fait comprendre des choses très
compliquées. Voilà une comparaison qu'il prend id: il va prendre la comparaison
des apodes, qui veut dire en grec: sans pieds. Ce sont des oiseaux qu' Aristote
appelait ainsi, qui avaient de tout petits pieds et de grandes ailes; pensez à
un goéland, pensez à un albatros.
Alors il continue:
« II ya certains oiseaux qu'Aristote nomme apodes parce
qu'ayant des jambes extrêmement courtes et les pieds sans force,
(les pieds sans force me parlent beaucoup),
ils ne s'en servent non plus que s'ils n'en avaient point Alors si une fois ils
prennent terre, ils y demeurent pris, sans que jamais ils puissent reprendre le
vol; d'autant que n'ayant nul usage des jambes et des pieds, ils n'auront pas
le moyen de se pousser, et relancer en l'air. Ils demeurant là, croupissant, et
y meurent, sauf bouffées sur la face de la terre, les vienne saisir et enlever
comme il si quelque vent propice à leur impuissance, jetant ses fait plusieurs
autres choses car alors si, employant leurs ailes, ils correspondent à cet élan
et premier essor que le vent leur donne, le même vent continue aussi son
secours envers eux, les poussant de plus en plus au vol. »
Et on assiste à ces merveilleuses évolutions d'albatros
dans le ciel.
«Eh bien, dit-il, nous
autres humains, nous ressemblons aux apodes (aux albatros); car s'il nous
advient de quitter l'air du saint amour divin pour prendre terre et nous
attacher aux créatures, ce que nous faisons toutes les fois que nous offensons
Dieu; »
Admirez
cette affirmation: l'écosystème, c'est-à-dire l'endroit où est bien l'albatros,
l'apode, c'est l'air du saint amour. Voilà ce qui nous fait vivre. Nous
trouvons notre agilité d'homme, de femme, blessé ou non par la vie, ayant un
équilibre ou non, dans la vérité de l'aire de l'agapè chrétienne. Hors de l'agapê, nous devenons comme ces
albatros posés au sol, lourdauds, incapables de nous envoler.
On retrouve là l'intuition profonde de Don Bosco devant des
jeunes blessés qui agitent leurs ailes pour essayer de reprendre l'air, il faut
que le vent du saint amour les atteigne, c'est-à-dire qu'il faut reconstituer
une institution, une façon d'être avec eux où l'agapè, l'air de l'amour, rend
possible le déploiement des ailes et aide le jeune à décoller et le rend de
nouveau agile.
Il continue:
« nous mourons maintenant mais regardez,
(voyez le conflit avec les Luthériens), nous mourons voirement, mais pas d'une mort si entière
qu'il ne nous reste un peu de mouvement, (notre nature n'est pas complètement
pourrie par le péché) e( avec cela des jambes et des pieds, c'est-à-dire qu'il
nous reste quelques menues affections qui nous peuvent faire faire quelques
essais d'amour. »
Splendide expression! Tout être humain, si abîmé fut-il par
la vie, peut encore faire quelques essais d'amour. Et l'art de l'éducateur
salésien, l'art du système préventif qui, comme Dieu, prévient l'homme, c'est
de s'appuyer, d'aller d'abord en quête de ces essais d'amour, de s'appuyer sur
ces essais d'amour et d'envoyer le grand vent de l'amour qui permet à ces
essais de se transformer en vol.
Mais, continue François de
Sales:
« Cela est si
important et si faible qu'en vérité nous ne pouvons plus de nous-mêmes défendre
nos coeurs du péché et nous relancer au vol de la sacrée dilection, laquelle,
chétifs que nous sommes, nous avons
perfidement et volontairement quittée. Et certes, nous mériterions bien de
demeurer abandonnés de Dieu...»
(Eh
oui, après tout, on n'a aucune revendication à avoir après avoir péché, à ne
pas être abandonnés de Dieu.) «...quand avec
cette déloyauté nous l'avons ainsi abandonné »
DEUXIEME AXE
«La compassion est au coeur de Dieu !»
Mais regardez là où puisent Don Bosco et François de Sales
leur éternelle charité: tout s'origine dans l'éternelle charité de Dieu:
«... son éternelle charité ne permet pas souvent à sa
justice (d'user de ce châtiment »
Regardez l'équilibre de la pensée. On ne pense point la
charité sans l'articuler avec la justice, mais la charité a un primat sur la justice,
on a vu par exemple dans l'affaire Touvier, combien la charité déconnectée de
la justice risquait d'arriver à des aberrations. Il me semble que dans notre
attitude éducative, charité et justice doivent s'articuler.
Mais notez bien que la charité prime et, bien plus,
regardez: il y a comme une sorte de débat en Dieu:
« excitant sa compassion, la charité le
provoque à nous retirer de notre malheur ».
La compassion..., c'est au coeur de notre spiritualité,
comme la compassion est au coeur de Dieu. La compassion c'est un mouvement
tout-à-fait paradoxal, c'est une souffrance déclenchée par la souffrance de
l'autre. Alors le déclenchement de la souffrance devant la souffrance de
l'autre a d'abord tendance à me lancer dans un activisme: "Qu'est-ce que je peux faire pour te soulager?" Et
cette compassion qui fait des plans est tout-à-fait utile, mais elle risque
toujours à un moment ou un autre de devenir manipulatrice, de devenir la
compassion d'un riche qui a le pouvoir par; rapport à un pauvre qui ne peut
rien.
C'est pourquoi cette compassion active doit s'articuler
avec une sorte de compassion passive qui arrive un jour ou l'autre où on se
sent quasiment impuissant devant celui qui souffre.
"Je ne peux plus
rien pour toi. Je souffre de ta souffrance, mais alors que ta souffrance semble
t'enfermer dans le silence et que je ne trouve plus de mot, (comme on dit: ça
me laisse sans voix), sache que je suis encore auprès de toi, dans un lien sans
parole, mais dans un lien de compassion. Tu existes à mes yeux, alors que je ne
peux plus rien pour toi".
Eh bien, telle est la compassion de Dieu, en son Verbe fait
chair, sur la croix. La croix, ça se termine par une expérience étonnante de
compassion. Et je crois que dans notre spiritualité salésienne, face à tel
jeune, particulièrement blessé par la vie, il y a à vivre des moments
silencieux de compassion. Le jeune comprend qu'on ne peut pas grand' chose pour
lui, mais qu'au moins il existe, parce qu'on est là, près de lui, ému par sa
souffrance.
« Eh bien, sa compassion, cette compassion de
Dieu, continue François de Sales, /e provoque à- le retirer de notre malheur; ce
qu'il fait»
Alors, qu'est-ce qu'il fait pour nous retirer de notre
malheur? Il fait une chose merveilleuse: il nous envoie le vent. Vous savez que le vent, en grec, c'est le
pneuma, c'est le souffle, c'est l'Esprit. Il nous envoie l'Esprit, l'Esprit qui
surgit après la passion:
«l'Esprit de sa très sainte inspiration,
laquelle venant avec une douce violence dans nos coeurs, les saisit et les
émeut»
Regardez cette expression paradoxale qui, à mon avis, est
typique de Don Bosco également; typique de notre façon d'être auprès des
jeunes. La douceur, mais une douceur qui n'a rien de permissif, une douce
violence. Je ne sais pas si vous avez fait l'expérience de rencontrer un homme
(ou une femme) vraiment spirituel.
C'est
une expérience étrange. Quand on parle avec de telles personnes, on se sent à
la fois réconforté par une sorte de douceur qui jaillit du fond de leur coeur.
On se sent libéré par cette douceur, parce qu'on se sent compris;
mais,
en même temps, homme de l'esprit, on se sent appelé un mouvement en avant, à
une exigence qui fait violence à nos lenteurs intérieures, à nos connivences
avec le péché. La douce violence..., ça n'a rien à voir avec la douceur
permissive ni avec la violence brusque qui essaie de secouer un jeune, et le
jeune ne comprend pas pourquoi on le secoue.
L'Esprit, c'est Celui qui va
permettre les audaces, les initiatives qui font une douce violence à la
société. Eh bien, en tant qu'institution salésienne, nous devons être porteurs
de cette douce violence de l'Esprit. Puis regardez la fin de la phrase comme
elle est merveilleuse et comme Don Bosco l'a actualisée. Cette douce violence,
« elle les saisit », elle
saisit ce jeune qui n'arrive plus à décoller parce qu'il est empêtré dans son
passé, «e//e les saisit et les émeut
».
Et
la place de l'émotion, la place de l'amorevolezza, la place de l'intensité du
lien affectif entre l'éducateur, l'éducatrice et le jeune, relevant nos
pensées, on s'adresse à l'intellect, la raison, mais également on s'adresse aux
affects, « poussant nos affections
». Toute la réalité de l'homme est prise en compte; non seulement l'intellect,
mais aussi l'affectif; non seulement le raisonnement, mais aussi l'émotion. « poussant nos affections en l'air du divin
amour », c'est-à-dire là où on respire en vérité, là où la charité fait
son oeuvre.
Pensons à Dominique Savio, à Michel Magon. C'est une illustration
parfaite, Michel Magon, de cet apode saisi par l'inspiration venant de Don
Bosco, venant en dernier ressort de Dieu qui lui a fait douce violence, qui l'a
saisi, qui l'a ému, qui a relevé ses pensées, qui a poussé ses affections en
l'air de la charité. Quelle belle formule encore!
Or,
ce premier élan et «. ébranlement que
Dieu donne à nos coeurs pour les inciter à leur bien, se fait clairement en
nous mais non point par nous». Vous savez, la théologie chrétienne
c'est une longue méditation sur les prépositions. Je ne sais pas si vous avez
regardé la prière finale de la prière eucharistique: "En Lui, par Lui, avec Lui..." longue
méditation sur les prépositions. Eh bien, ici, il y a une longue méditation sur
les prépositions. Cela se fait en nous, ça ne reste pas tangentiel, comme le
disaient les réformés. On est imputé juste, mais dans le fond, on n'est pas
transformé.
François de Sales est un catholique, il dit:
« Quand Dieu intervient, cela nous transforme
de part en part »,
cela
se fait en nous, mais il est pour la grâce, « non pas par nous », non pas par nos mérites.
«
// arrive à " l'impourvu"
»,
c'est-à-dire
à l'improviste; c'est très biblique tout cela: Dieu arrive à l'improviste.
Pensez à Moïse se trouvant devant le buisson ardent et se retrouvant tout d'un
coup à la tête d'un peuple à libérer; pensez à Marie, se retrouvant, jeune
fille, devant une expérience mystique qui lui fait comprendre qu'elle va être
mère de Dieu; pensez à St Paul jeté à bas sur le chemin de Damas... Dieu est un
Dieu de l'improviste: il surgit quand on ne l'attend pas. Alors, l'improviste
en nos vies va être manifesté par nos expériences d'improviste, par la
médiation de l'imprévu en nous.
Alors quels sont les imprévus en nos vies? Eh bien, ils
viennent essentiellement par les expériences d'excès. Il y a deux types
d'expériences d'excès: l'excès dans le mal et l'excès dans le bien.
L'excès dans le mal, c'est quand on n'arrive plus à intégrer une réalité
mauvaise qui nous tombe dessus, par exemple le diagnostic d'une maladie grave;
par exemple, la perte d'un être aimé; par exemple, d'être nommé à un endroit où
on est devant un désert apostolique; par exemple, un trouble familial très
important. Tout d'un coup on ne se repère plus, on est déstabilisé. Eh bien,
cette déstabilisation peut être saisie par la grâce de Dieu comme une occasion
extraordinaire de comprendre que Dieu est un Dieu de l'imprévu et qu'il nous
appelle à un remaniement vers un peu plus d'agapê, un peu plus d'amour en
actes.
Mais il y a aussi l'imprévu par excès du bien, l'imprévu
jaillissant de l'expérience de l'amour, un sentiment amoureux, l'imprévu d'une
découverte culturelle étonnante, l'imprévu d'une expérience mystique. Là aussi
on est déstabilisé par rapport à nos visions étroites et, du coup, on est remis
en mouvement.
Eh bien, Dieu agit régulièrement, si on en croit la Bible,
par cette alternance de mouvements d'imprévus et de banalités quotidiennes.
L'éducation doit savoir faire droit à l'imprévu, aider le jeune à intégrer
l'imprévu et à l'entendre comme parole de Dieu possible.
Donc,
« ce premier ébranlement qui nous remet dans
l'air du saint amour », dit François de Sales, « // arrive à l'imprévu, avant que nous n'ayons
nous, penser, ni pu penser puisque nous n'avons aucune suffisance de
nous-mêmes».
Mais,
c'est très luthérien ça: de nous-mêmes nous ne pouvons pas réussir notre quête
d'humanisation; ça rejoint ce que je disais sur l'anthropologie chrétienne de
Jean Bosco. Pour Jean Bosco, l'homme est fait pour Dieu, par Dieu, en Dieu. Il
n'a pas sa suffisance en lui-même et toute éducation qui ne cherche pas à
prendre acte que l'homme a sa suffisance en Dieu est une éducation tronquée.
« Nous ne pouvons, de nous-mêmes, penser
aucune chose qui regarde notre salut car toute notre suffisance est de Dieu
»
.
Encore une magnifique comparaison: «
Voyez, je vous prie, Théotime, St Pierre, le pauvre prince
des apôtres, tout engourdi dans son péché ».
Voilà: Pierre vient de renier, auprès de la servante,
Jésus, alors qu'il était le premier pape; et voilà que ce Pierre est devenu
comme cet apode, complètement effondré sur le sol, incapable de se remettre
dans l'air du divin amour.
Et donc, regardez St Pierre, « ce pauvre prince des Apôtres, tout engourdi
dans son péché, dans la triste nuit de la Passion de son Maître; il ne pensait
plus à se repentir de son péché, sauf s'il n'eût connu son divin Sauveur; et
comme un chétif apode atterré, il ne se fût jamais relevé, si le coq, comme un
instrument de la divine Providence, n'eût frappé de son chant à ses oreilles
».
Savoir écouter les coqs dans notre
vie... Les coqs, ce n'est pas toujours les poules,
mais c'est tel événement qui est un premier réveil. Pierre, à l'écoute du coq,
se rappelle les paroles du Sauveur: " Pierre,
tu me renieras trois •fois ".
Savoir
se mettre à l'écoute de ce qui réveille la mémoire de Dieu en nous, mais ce
premier réveil ne suffît pas chez Pierre, un deuxième événement va se passer:
« Le doux Rédempteur, dit François de Sales, jetant un regard salutaire, comme une flèche
d'amour, transperça ce coeur de pierre».
Regardez
là aussi Don Bosco , l'importance du regard... Voyez combien le Dieu de Don
Bosco est le Dieu de François de Sales, le Dieu de Jésus. Jésus regarde Pierre
« et transperce ce coeur de pierre
». Regardez le magnifique jeu de mots qui est fait là: Pierre - Simon, et la
pierre. Un regard qui transperce.
Beaucoup de jeunes disaient que Don Bosco lisait dans les consciences, comme si
Don Bosco avait un regard sur eux, qui faisait douce violence, les provoquant à
la conversion. Voyons ici ce qui est dit, ce qui est donné en exemple: ce n'est
pas un Pierre, puissant, c'est un Pierre d'où coulent les larmes - et ce sont
les larmes du premier pape montré ainsi dans sa faillibilité - ce sont ces
larmes qui vont être source vivifiante pour l'Eglise...
Voilà la logique de Dieu: une
compassion qui précède, une compassion qui jette un regard d'amour, une
compassion qui transperce ce qui est dur: la pierre; un regard qui fait couler
des fleuves d'eau vive. Et la faute se transforme en source de vie éternelle.
Pédagogie salésienne s'il en est! Jeter sur le jeune un regard d'amour pour
qu'il devienne à son tour comme Dominique Savio, comme Magon, comme Besucco...
Le texte que nous venons de méditer est tiré d'une édition
où le texte complet du 'Traité de rameur de Dieu" n'est pas complètement
imprimé. Je vous relis quelques passages que vous n'avez pas, dans ce même
chapitre 9, et qui sont très beaux.
« Dieu ne nous a pas seulement aimés avant que
nous fussions mais afin que nous fussions et que nous fussions saints.»
Voyez
la suffisance que nous trouvons en Dieu, venant de la précédence de Dieu et
telle qu'elle nous conduit à comprendre que l'amour de Dieu ne nous a pas
seulement aimés afin que nous
fussions, mais avant que nous
fussions et afin que nous fussions
saints. On comprend que Don Bosco ait compris facilement que le but de
l'éducation, c'était la sainteté, quand il s'inscrivait là-dessus, et le texte
continue:
«ensuite de quoi il nous prévient dans les bénédictions de
sa douceur paternelle ».
Voilà la douceur paternelle de Dieu qui est reprise par la
douceur paternelle de Don Bosco.
Et ce chapitre se termine en éveillant le Cantique des
Cantiques qui a tant inspiré tous les mystiques, tous les grands mystiques et
évidemment François de Sales, et qui montre combien l'amour humain a été
parabole pour eux de l'amour entre Dieu et l'humanité.
François
de Sales dit ceci:
« Nous sommes éveillés par Dieu, mais nous ne
nous sommes pas éveillés de nous-mêmes, c'est l'inspiration qui nous a éveillés
et, pour nous éveiller, elle nous a ébranlés et secoués et, citant le cantique des cantiques,: "je donnais
dit l'épouse, et mon époux qui est mon coeur veillait, et le voici qui
m'éveille, m'appelant par le nom de nos amours, et j'entends bien que c'est
lui, à sa voix»
M'appeler par le nom de nos
amours... Il y a une intimité entre Dieu et chacun d'entre nous. Dieu connaît
le nom de nos amours, ce petit nom intime que l'on se choisit pour dire l'amour.
Don Bosco devait trouver dans de telles réflexions cette certitude qu'il faut
être le pasteur des jeunes qui connaît le nom intime des jeunes pour les
réveiller, les secouer car, dit-il,
«...c'est en sursaut, à l'improviste qu'il m'appelle
et me réveille et
j' entends bien que c'est lui à sa voix».
TROISIEME AXE
«Tout membre de la Famille salésienne doit avoir : des
ailes pour voler en Dieu; des pieds pour marcher avec les hommes I»
Continuons notre méditation en prenant à la page 1,
quelques phrases qui sont tout-à-fait dans la ligne de Don Bosco. Voyez le Dieu
de Don Bosco, c'est le Dieu de François de Sales.
« Nul n'entrera au Paradis céleste, (vers
les 6ème, 7ème lignes),
qu'il ne soit transpercé du glaive de l'amour ».
Et
on retrouve toujours ce paradoxe d'un amour non permissif, d'un amour qui fait
violence, « le glaive de l'amour
».
Eh
bien, pas moyen d'entrer au Paradis sans simultanément subir une certaine
violence due au péché de l'homme et due à la lutte contre le péché, violence
que même l'agapè de Dieu en nous, c'est-à-dire l'Esprit, et puis cette
splendide formule, qui est une véritable devise pour Don Bosco, note « .son amour, tendant
à notre salut ». Tout l'amour de Dieu tend à sauver
l'homme; c'est l'objectif de Dieu pourrait-on dire, et Don Bosco a fait sien
cet objectif.
Mais, notre salut, c'est
quoi? C'est notre amour. C'est l'amour de Dieu pour nous,
« ...son amour tendant à notre salut et notre salut à son
amour. »
Formule
splendide, cercle vital. Et c'est dans ce cercle vital entre le salut et
l'amour
que se déploie la pédagogie salésienne.
« Hé!, dit-il, je suis venu pour mettre le feu au monde, »
(dit Jésus), « Que prétends-je sinon qu'il brûle? Mais pour déclarer plus
vivement l'ardeur de ce désir, il nous commande cet amour en termes admirables:
Tu aimeras, dit-il, le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme,
de toutes tes forces, c'est le premier et le plus grand commandement Vrai Dieu,
que le coeur divin est amoureux de notre amour! »
Splendide formule: le coeur divin est amoureux de notre
amour. Et, là encore, Don Bosco a vécu cela; le coeur de Don Bosco est amoureux
de l'amour des jeunes. "Non seulement que les jeunes se sachent aimés,
qu'ils soient aimés, mais qu'ils se sachent aimés".
Provoquer la réponse d'amitié.
« ...Ne suffisait-il pas qu'il eût publié une permission
par laquelle il nous eût donné congé de l'aimer comme Laban permit à Jacob
d'aimer sa belle Rachel, et de la gagner par ses services? Mais non, il déclare plus avant sa passion amoureuse
envers nous».
Passion qui va le
conduire, en son Verbe fait chair, à vivre une passion sur la croix et c'est
pourquoi
« ...// nous
commande de l'aimer de tout noire pouvoir afin que la considération de sa
Majesté et de notre misère »
Retenez bien: il n'y
a pas un faux égalitarisme entre Dieu et l'homme, Dieu est dans la Majesté,
l'homme est une créature et une créature pécheresse. Alors, il y a devant une
telle majesté, devant une telle distance entre la majesté et la créature
pécheresse, il y aurait de quoi facilement pervertir la relation.
Eh bien, Dieu évite
cette perversion en commandant de l'aimer de tout notre pouvoir
« afin que la considération de sa majesté et de sa misère qui
font une tant infinie disparité et inégalité de lui à nous, ni autre prétexte
quelconque, ne nous divertît de l'aimer. En quoi il témoigne bien qu'il ne nous
a pas laissé l'inclination naturelle de l'aimer pour néant. »
Ça, c'est luthérien.
Il y a un néant d'inclination naturelle de l'aimer. Les catholiques, - et le
Père Scheppens montre bien dans sa thèse que Don Bosco s'inscrivait nettement
dans une vision catholique de la nature et de la grâce - les catholiques disent
« ...afin qu'elle ne soit pas oiseuse. Dieu nous presse de
remployer par ce commandement général (tu aimeras). Et afin que ce commandement
puisse être pratiqué, il ne laisse homme qui vive auquel il ne fournisse
abondamment tous les moyens requis à cet effet Le soleil visible touche tout de
sa chaleur vivifiante ».
Dieu comme soleil, c'est biblique: dans certains psaumes,
c'est néotestamentaire: Dieu fait lever son soleil sur les méchants comme sur
les bons, le soleil qui se dégage d'une institution salésienne,
« ...doit s'efforcer de toucher tout de sa chaleur
vivifiante » et de donner « la vigueur requise pour faire leur production de
même la bonté divine anime toutes les âmes, et encourage tous les coeurs à son
amour, sans qu'homme quelconque soit caché à sa valeur »
Puis, après, on pourrait dire l'agitation apostolique au
bon sens du terme, la créativité apostolique est présentée, le souci du salut.
« Mais le Sauveur ne se contente pas d'annoncer ainsi son
extrême désir d'être aimé en public, en sorte que chacun puisse avoir part à son
aimable semonce, il va de porte en porte, tout en frappant, heurtant,
protestant que si quelqu'un ouvre, il entrera chez lui et soupera avec lui, (c'est
un texte de l'Apocalypse), c'est-à-dire, il
lui témoignera toute sorte de bienveillance. »
Remarquable aussi, méditation sur le zèle de Don Bosco. Don
Bosco va de porte en porte, heurtant, frappant, mais c'est pour non pas
blesser, c'est pour manger avec lui. Emmanuel, Dieu avec nous, il prend son
repas avec nous. C'est ce que nous célébrons dans l'Eucharistie. Bien plus, il
se fait repas pour nous.
Remarquable
méditation sur la miséricorde de Dieu et c'est pourquoi le texte de ce chapitre
se termine:
« En somme, ce divin Sauveur n'oublie rien pour montrer
qu'il est
riche en miséricorde ».
C'est
ce qui devrait pouvoir être dit de chacun des membres de la famille salésienne:
« ...riche en miséricorde et que par conséquent, il
voudrait que tous
les hommes soient sauvés et qu'aucun ne périt. »
Voyez
le "Traité de l'amour de Dieu",
c'est un texte qui a la réputation d'être difficile, mais quand on le regarde
de près, c'est un texte qui nous donne à penser beaucoup, parce qu'il décrit à
la fois ce que doit être l'amour de Dieu, ce qu'ont été l'amour de François de
Sales et l'amour de Jean Bosco.
On va encore
prendre un extrait à la page 5, qui vient un peu nuancer, mais prenons quand
même d'abord si vous le voulez la page 10, dans la "Vie
dévote", parce que ce texte est amusant et puis, il dit
des tas de choses. Puis on continuera à la page d'avant.
Vous savez que la vie dévote, le mot dévot est
très péjoratif de nos jours, ça n'a rien à voir avec la vie bigote,
ne confondez pas dévot et bigot. Le dévot, chez François de Sales, la vie
dévote, c'est exactement la vie menée selon la perfection de l'amour, la perfection
de l'agapè. Donc, à chaque fois que vous trouvez le mot dévote, dites perfection
de l'amour, de l'agapè évangélique.
Alors,
à la page 10, (dernier paragraphe), qui nous donne un vrai portrait de la vie
selon la perfection de l'amour:
« Contemplez l'échelle de Jacob...
dont vous connaissez ce passage biblique: l'échelle de Jacob dans
la Genèse où l'on voit des anges qui montent et qui descendent une échelle qui
réunit le Ciel et la terre. Eh bien, François de Sales médite longtemps sur
cette échelle de Jacob et voit là un portrait de ce qu'est la vie selon la
perfection de l'amour).
...les deux côtés entre lesquels on monte et auxquels les
échelons
se tiennent, représentent :
1) l'oraison qui
supplie et obtient l'amour de Dieu,
2) les sacrements
qui le confèrent ».
Voyez encore comme Don Bosco a compris ça. Et cette échelle
qui réunit le Ciel et la terre, les échelons tiennent grâce aux deux montants
que sont l'oraison et les sacrements. Toute vie suivant la perfection de
l'amour, toute vie dévote qui ne s'accroche pas dur comme fer à l'oraison et
aux sacrements, est une vie dévote qui ne tiendra pas.
Et les échelons, qu'est ce que c'est?
Ce sont les vertus, ce sont les divers degrés
de charité par lesquels on va de vertu en vertu, c'est-à-dire des vertus ce
sont des "habitus" qui disposent au bien, ce sont dispositions
stables de notre être acquis par l'effort, par les répétitions sous la grâce de
Dieu, qui nous disposent au bien. Eh bien, ces degrés de l'échelle ce sont des
vertus.
Alors
avec les degrés on peut monter et descendre et regardez ce qu'il dit:
« ...degrés par lesquels on va de vertu en vertu, ou
descendant par
l'action au secours et
support du prochain...
Vous voyez, l'échelle a pour but de nous
faire descendre vers le prochain, l'action du prochain. Une échelle qui se
perdrait dans le Ciel, sans nous faire descendre vers le prochain, serait une
échelle aliénante, ...ou montant par la contemplation à l'union amoureuse de
Dieu ».
Voilà,
cette échelle réunit simultanément la contemplation et l'action auprès du plus
pauvre.
« Or, voyez je vous plie ceux qui sont sur l'échelle: ce
sont des hommes qui ont des coeurs angéliques ou des Anges qui ont des corps
humains; ils ne sont pas jeunes, mais ils semblent l'être, parce qu'ils sont
pleins de vigueur et d'agilité spirituelle... - et leur magnifique formule:
...ils ont des ailes pour voler ». Pensez aux apodes...
François de Sales parle tout le temps de voler en Dieu. Qui
n'a jamais eu envie de voler, de quitter cette difficile pesanteur humaine? Et,
dans nos rêves, il arrive parfois que nous volions. Ce sont des rêves
agréables: s'envoler hors des pesanteurs... Eh bien, les anges qui sont sur
l'échelle ?
« ...ils ont des ailes pour voler et s'élancent en Dieu par
la sainte
oraison, mais ils ont des pieds... ».
Ils
ont des ailes et des pieds. Tout membre de la famille salésienne doit avoir des
ailes et des pieds. Des ailes pour s'élancer en Dieu, des pieds pour quoi
faire?
«...pour
cheminer avec les hommes, (pour cheminer avec les jeunes), par une simple et
aimable conversation ».
Se plaire au milieu des jeunes... Et puis, notez le terme
" conversation ",
les philosophes contemporains le remplacent volontiers par le terme " entretien ". Nous avons à
entrer activement dans l'entretien social, avec ses dimensions
interpersonnelles et ses dimensions institutionnelles.
Eh bien, nous avons des ailes pour voler en Dieu et des
pieds pour cheminer avec les hommes et entrer dans une sainte et aimable
conversation, pour prendre part à la citoyenneté, pour être de bons citoyens,
dit Jean Bosco.
Vous
lirez le reste, (Paragraphe page 11):
« Croyez moi, chère Philotée, la dévotion est la perfection
de la charité. Si la charité est un lait, la dévotion en est la crème, si elle
est une plante, la dévotion en est la fleur, si elle est une pierre précieuse,
la dévotion en est l'éclat, si elle est un baume précieux, elle en est l'odeur
et l'odeur de suavité qui conforte les hommes et réjouit les Anges ».
Alors, on va terminer notre méditation. Là encore François
de Sales nous mène très loin, il nous mène à articuler la théonomie: s'ancrer
profondément en Dieu et utiliser ses ailes; dans les petits efforts qu'on peut
faire pour laisser l'Esprit nous mener, nous conduire, à des merveilles divines
inimaginables. Il nous invite à avoir des pieds, mais tout ça est bien dur et
gravir les vertus de l'échelle, c'est très, très dur dans la durée. Nous avons,
beaucoup ici, un âge certain. Et nous avons tous fait l'expérience de notre
péché, de nos pesanteurs, des blessures de notre vie, des échecs de notre vie
consacrée ou de notre vie de laïc.
Eh bien, il y a un réalisme chez François de Sales, (que va
reprendre Jean Bosco), qui va nous inciter à une douce insouciance, car quand
on a compris qui est Dieu, à la fois on a une sorte d'intéressement un peu
soucieux de l'avancée du Royaume, comme je le disais tout-à-l'heure, mais en
son fond radical, on est insouciant. Rappelez-vous Matthieu 6: "Regardez
les oiseaux du Ciel, ils ne se soucient point de quoi sera fait leur nid, ...
car votre Père sait, mieux que vous, ce dont vous avez besoin". Regardons
cette insouciance qui a des accents d'ailleurs tout-à-fait protestants. Voyez,
François de Sales va aussi loin qu'il peut dans l'oecuménisme et là, il va très
loin:
« De l'indifférence que nous devons
pratiquer en ce qui regarde notre avancement dans les vertus ».
(livre 9, page 5)
L'indifférence,
l'indifférence salésienne, ce n'est pas le je m'enfoutisme. C'est une sorte de
décontraction, sûr que Dieu veut notre bien et que je n'ai pas à me soucier
d'abord de mes mérites et que je suis dans les mains de Dieu. Alors, voici ce
qu'il dit:
« Dieu nous a ordonné de faire ce que nous pourrons pour
acquérir
les saintes vertus... »
Donc pas de quiestisme. Il faut se
bagarrer dans la vie et il y a des combats évangéliques très durs, qui mènent
parfois à un héroïsme, à des temps d'héroïsme très durs. Qui d'entre vous n'a pas
dû passer des moments d'héroïsme pour rester fidèle?
« N'oublions donc rien pour bien réussir dans cette
entreprise. Mais après que nous aurons planté et arrosé... (pensez
à St Jean Bosco:
il
a planté et arrosé) ...alors, sachons que c'est à Dieu de donner
l'accroissement - aux arbres de nos bonnes inclinations et habitudes. C'est
pourquoi 9 faut attendre le fruit de nos désirs et travaux de sa divine
Providence ».
Don Bosco était tout-à-fait comme ça. Il se démenait
jusqu'à l'usure totale pour planter et arroser, puis, à la fin il disait: "La Sainte Vierge et Dieu
pourvoiront".
Alors ça continue:
« Que si nous ne sentons pas le progrès et avancement de
nos esprits dans la vie menée selon la perfection de l'amour...
(Et
combien de fois on peut se dire après 15, 20, 30 ans d'engagement
chrétien,
d'engagement religieux: "finalement, je n'ai pas beaucoup
progressé,
j'ai peut-être même régressé". Et bien
...si nous ne sentons pas le progrès, ne nous troublons
point..
(Le trouble, c'est le péché mortel de la
spiritualité salésienne)
...ne nous
troublons point, demeurons en paix, que toujours la tranquillité règne dans nos
coeurs. C'est certes à nous de bien cultiver nos âmes et partant il y faut
fidèlement vaquer...
(Pas
de quiétisme)
...mais quant à l'abondance de la moisson, laissons-en le
soin à notre Seigneur. Le laboureur ne sera jamais tancé s'il n'a pas belle
cueillette, mais s'il n'a pas bien labouré et ensemencé ses terres ».
Voilà la phrase clé qui est
vraie pour chacun et chacune d'entre nous:
« Ne nous inquiétons pas pour voir toujours novices en
l'exercice des vertus; car au monastère de la vie menée selon la perfection de
l'amour, chacun s'estime toujours novice et toute la vie y est destinée à la
probation ».
Un
quart d'heure avant notre mort, nous serons encore novices. Savoir que nous
sommes novices et que, malgré tout, Dieu est là, riche en miséricorde.
Le texte va encore plus loin. Je n'ai pas le temps
d'analyser complètement.
Le
texte va encore plus loin parce qu'il est si réaliste qu'il constate qu'il est
bien des hommes et des femmes laïcs, religieux ou religieuses qui ont des
défauts dont ils sont incapables depuis 10, 15, 20, 30 ans, incapables de se
départir: un tel est alcoolique, un tel a des difficultés sexuelles, une telle
est colérique, tel couple a des difficultés conjugales irrésistibles, telle
personne ne cesse de médire... Bref, chacun de nous a un défaut dominant, comme
on disait autrefois, a une véritable rébellion de l'appétit, des tendances, de
l'appétit, comme disaient les scolastiques
II y avait deux formes de l'appétit: sensuel et
intellectuel. Et dans l'appétit sensuel, il y en a deux grands dans la
tradition, c'est l'appétit colérique, la mauvaise gestion de l'agressivité et
l'appétit de la convoitise, une mauvaise gestion du désir. Eh bien regardez ce
magnifique paragraphe qui est si consolant:
« Ces
rébellions de l'appétit sensuel, tant en la colère qu'en la
convoitise,...
(On
dirait en termes modernes: "ces mauvaises gestions de l'agressivité et du
désir"),
.. .sont laissées en nous par Dieu pour notre exercice,
afin que nous
pratiquions la vaillance spirituelle en leur résistant ».(page
7, le
deuxième
paragraphe avant la fin.)
Et alors là, l'image salésienne typique de la pédagogie
salésienne, c'est le Philistin. - Vous savez tous que dans la bible il y a des
Philistins et qu'on ne cesse de battre les Philistins, que les Hébreux et les
Philistins, ça dure pendant des décennies et des décennies de guerre. - Eh
bien, nous avons tous en nous, sans exception, un Philistin. II est très
important de savoir le nommer, tranquillement, avec lucidité. Eh bien, ce
Philistin, c'est cette rébellion de l'appétit en nous. Il est laissé afin que
nous pratiquions la vaillance spirituelle.
« C'est le Philistin que les vrais Israélites doivent
toujours combattre,
sans que jamais ils le puissent abattre ».
Toujours
combattre, sans qu'ils le puissent abattre... Remarquez la merveille de style,
et puis de la vérité humaine! Notre défaut dominant, on n'arrive jamais à
l'abattre mais on peut toujours le combattre.
« ...ils le peuvent affaiblir, mais non pas l'anéantir ».
savoir
qu'on ne peut pas l'anéantir... Et François de Sales va jusqu'à dire:
« // ne meurt
jamais qu'avec nous, et vit toujours avec nous ».
Et ça n'empêche pas la
miséricorde; et c'est pourquoi il conclut:
« Remarquez encore que si notre Seigneur
permet ses cruelles révoltes en l'homme,...
(car
c'est cruel, ce n'est pas drôle d'avoir un Philistin en soi),
...ce n'est pas toujours pour le punir de quelque péché,
mais c'est pour manifestée la force et vertu de l'assistance et grâce divine;
et remarquez enfin que non seulement nous ne devons pas nous inquiéter en nos
tentations ni en nos infirmités, mais nous devons nous glorifier d'être
infirmes, afin que la vertu divine paraisse en nous, en soutenant notre
faiblesse contre l'effort de la suggestion et tentation ».
Voilà. Pour conclure,
c'est une méditation sur l'ami fidèle . François de Sales conseille, pour
essayer de bien mener sa vie dévote, donc pour lutter contre son Philistin,
d'avoir un ami fidèle. Et la description qu'il fait de l'ami fidèle est une
description formidable de Don Bosco.
« L'ami fidèle, c'est un médicament de vie, d'immortalité;
ceux qui craignent Dieu le trouvent Ces divines paroles regardent
principalement l'mmortalité, comme vous voyez, pour laquelle il faut sur toutes
choses avoir cet ami fidèle qui guide nos actions par ses avis et conseils, et
par ce moyen nous garantit des embûches et tromperies du malin. » (page
25)
«...comme un trésor de sagesse en nos afflictions,
tristesses,
chutes...
le Christ et Don Bosco seront pour nous
...un médicament pour alléger et consoler nos coeurs dans
les
maladies spirituelles...
Le Christ et Don Bosco, à un autre titre bien
sûr, «
«quand il nous arrivera quelqu' infirmité, il empêchera
qu'elle ne soit
mortelle, car il nous en relèvera ».
Splendide portrait du Christ, et qui se
termine pas cette phrase que vous n'avez pas dans votre texte, que je vous lis,
ce sera le mot de la fin:
« Je vous le dis, demandez cet ami à Dieu; et, l'ayant
obtenu, bénissez sa divine Majesté. N'en cherchez point d'autre, mais allez
simplement, humblement; car alors vous ferez un très heureux voyage.»
Eh bien, je vous
souhaite un voyage dans la sainteté.
X. Thévenot, 31 mai 1993.